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résignation et de la nécessité. Je l’ai cru... Maintenant, je ne le crois plus.

Quand l’objection fut faite à Jules Ferry, au cours du débat qui, au sujet de l’affaire de Tunisie, ouvrait une ère nouvelle de notre histoire, il opposa à un adversaire une réponse simple et forte comme la vérité : « M. Clemenceau disait : En cas de guerre européenne, est-ce que l’échiquier militaire ne serait pas modifié ? — Je réponds : oui, il sera modifié, mais à notre profit, en fermant une porte par laquelle on peut entrer chez nous. » Il ne s’agit pas seulement de la prise de possession de territoires qui, si nous ne les occupons pas, seront occupés par d’autres et armés contre nous ; il ne s’agit pas seulement de l’utilisation possible, par la mère patrie, de contingens indigènes, — cipayes, turcos, soudanais, troupes noires, — appoints qui ne sont pas, pourtant, tout à fait négligeables ; il ne s’agit pas seulement de l’étendue considérable de territoires faciles à défendre et qui peuvent fournir des bases d’opérations précieuses pour des offensives redoutables à nos ennemis : le véritable argument est celui-ci : sans colonie, un peuple n’a pas de marine, et sans marine, un peuple qui a une grande étendue de côtes est en proie à ses rivaux. Napoléon, maître de la terre, a été battu par la mer. Le blocus continental se retourna contre lui. Trafalgar eut raison d’Austerlitz.

Pour la paix, pour la guerre, pour le dedans, pour le dehors, pour le présent, pour l’avenir, les colonies sont aux peuples ce que les enfans sont aux familles. Une puissance sans colonie est une puissance stérile : tous les éloges et toutes les gratitudes de l’histoire iront toujours aux peuples colonisateurs.

La grande erreur du XVIIIe siècle français, erreur qui coïncide avec la pénurie gouvernementale la plus lamentable qu’ait connue notre histoire, a été de ne pas comprendre la nécessité urgente de défendre à tout prix les colonies au moment où, de l’autre côté de la Manche, on faisait de leur extension à tout prix le principe d’une politique agressive et le programme de « la plus grande Angleterre ; » c’est de ne pas avoir senti que notre avenir était alors, s’il le fut jamais, sur la mer ; qu’il importait infiniment plus de lutter pour les Indes et pour le Canada que pour les petites principautés de l’Empire germanique. Nous n’avions pas à nous mêler aux querelles de l’Europe