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Iroquois, contre les attaques des colonies hollandaises et britanniques, et, finalement, contre l’offensive résolue de toutes les forces anglaises. La colonie est à elle-même son boulevard. Un seul chiffre : l’année de la défaite, « la France, pour défendre le Canada, avait envoyé 328 hommes. Pour la prendre, l’Angleterre en expédiait 9 000 avec 47 vaisseaux[1]. »

Aussi l’histoire militaire du Canada, qui n’est pas sans analogie avec celle des Boërs de notre temps, ne présente qu’une longue épopée de fidélité et d’héroïsme. La vie d’un certain Closse, notaire et greffier à Montréal, fut plus d’une fois marquée par des traits à la Léonidas ; il périt (1662) en se portant au-devant des Iroquois pour secourir d’autres colons. Le dévouement de Dollard et de seize autres Français, qui tinrent huit jours dans un retranchement de palissades improvisé, avec quelques sauvages alliés, contre 6 à 700 Agniers et qui moururent jusqu’au dernier pour sauver la colonie, est une légende pareille aux plus beaux fastes des Romains : « Un Français qui était encore debout lorsque l’ennemi pénétra dans le fort, voyant tout perdu, acheva à coups de hache, ses compagnons blessés pour les empêcher de tomber vivans entre les mains du vainqueur (21 mai 1660)[2]. » Les exploits du jeune Hertel, de Mme de La Tour sont célèbres : quant aux actes de dévouement des enfans, des femmes, des anonymes, il faudrait des pages entières pour les dénombrer : ils foisonnent derrière tous les buissons de cette histoire sanglante.

Ce n’est donc pas non plus l’énergie locale ni la fidélité de la colonie qui manquèrent. La faute est ailleurs ; et c’est ici qu’il faut s’arrêter pour dégager, dans le passé, les termes de comparaison qui doivent servir soit d’avertissement, soit de réconfort pour l’avenir.


Ce qui a manqué à la France de l’Ancien Régime pour garder ses colonies (cela apparaît aujourd’hui à la lumière des documens confirmant le jugement de l’histoire), c’est l’esprit de suite et l’esprit de sacrifice à l’égard de cette famille lointaine que l’esprit d’aventures avait essaimée de par le monde.

Richelieu, le véritable fondateur de notre empire colonial, expose très fortement les raisons qui le portaient dans cette

  1. Arnould, Nos amis les Canadiens.
  2. Garneau, t. I, p. 176.