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pendant cette même période, le chiffre total atteindrait plusieurs milliers. La mortalité fut donc énorme. L’élan ne s’affirma qu’à partir de l’intendance de l’excellent administrateur, Talon : la Nouvelle-France comptait 8 415 habitans en 1676, et 12 263 en 1685[1]. Dès lors, la loi de multiplication opère d’elle-même ; la population quadruple en quarante ans ; elle comptait 55 000 Français lors de la sépai’ation[2] et le Dominion en compte plus de deux millions aujourd’hui.

Malgré de si longues incertitudes et de si cruels holocaustes au Dieu des terres nouvelles, ce n’est donc pas le peuplement qui a manqué au territoire canadien pour que la colonie fût réellement une « nouvelle France. »


Le Canada français, au cours de sa brève existence, sut trouver en lui-même un autre principe de vitalité, je veux dire une âme, une âme locale et française tout à la fois. Il faut bien reconnaître, ici encore, un don, une aptitude particulière à la race : la France s’installe et progresse sans recul au cœur des populations nouvelles. Ainsi, de ses plus vieilles provinces et de ses plus récentes : l’Alsace et la Lorraine, réunies les dernières, étaient sa chair et son sang en 1870, et elles ne peuvent s’arracher à un corps qui est leur être. Au Canada, le miracle est le même. En 1629, quand il y avait six maisons à Québec, Québec voulait être français, comme si cette demi-douzaine de foyers fondés de la veille sur la falaise du Saint-Laurent eussent été installés, depuis des siècles, sur le calcaire de l’Ile-de-France : sentiment plus fidèle encore dans les revers que dans la prospérité. La colonie est donc, à elle-même, dès le début et jusqu’à la fin, sa meilleure défense.

Jamais corps d’enfans perdus fut-il plus lointain, plus exposé, plus abandonné ? Tout est contre lui, l’éloignement de la mère patrie, l’état de guerre presque perpétuel, la proximité des colonies rivales et soutenues par des renforts incessans, l’hostilité des tribus sauvages, entreprenantes et bien armées, et, surtout, la durée des hivers qui l’isole complètement pendant huit mois de l’année, les glaces coupant toute communication de novembre à mai. Pendant ce temps, la colonie est murée. A chaque saison nouvelle, elle tourne les yeux vers la mer, en se

  1. Salone, p. 229.
  2. Ibid., p. 448.