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écrit ce mot ; Wife et plus bas : Confortations against myself[1]. Ces pages débutent ainsi : « Si le temps, la maladie venaient jamais à affaiblir le souvenir de ma profonde douleur et de mes justes sujets de regrets et de larmes, que je les trouve ici retracés en peu de mots. » Il rappelait ensuite les nombreuses marques d’amour et de tendresse que Mme Necker lui avait données pendant les trente ans qu’avait duré leur union. J’en détacherai quelques traits :

Les pleurs qui coulaient de mes yeux pendant sa maladie la rendaient si malheureuse qu’au moment où je ne pus me contenir, elle poussa des cris de désespoir.

Quel calme, quelle beauté dans son lit de mort !

Quelle résignation à la volonté de Dieu pendant ses souffrances. Elle opposait toujours à ceux qui la plaignaient les trente années de bonheur qu’elle avait tenues de la bonté céleste.

Elle avait une peur manifeste de me sursuivre : c’était un malheur qu’elle considérait au-dessus de ses forces.

Avec une humilité touchante, il continuait en confessant les défaillances de sa propre nature et le secours qu’il trouvait dans sa femme contre lui-même.

Elle me rendait la tranquillité dans tous les genres d’alarmes ; elle savait parler à mon cœur, à mon esprit, à mon imagination. Elle était mon bouclier contre moi-même.

Elle fixait les indécisions qui sont un des défauts de mon caractère.

Elle me préservait des regrets en me rappelant toujours que le passé est hors de notre atteinte et en justifiant tout ce que j’avais fait par un sentiment élevé.

Hélas ! Je n’ai plus ce compagnon, cet ami, qui faisait route avec moi dans la vie. Disposé à me tourmenter et n’ayant plus mon amie pour me soutenir contre moi-même et pour défendre la vérité contre les inquiétudes de mon imagination, je suis obligé de converser avec moi-même, mais toujours sous le regard de mon amie.

Sous une apparence calme et un peu hautaine, M. Necker cachait en effet une nature agitée. Il avait l’imagination inquiète, et la meilleure preuve en est dans ces entretiens mêmes, car il se reprochait de n’avoir pas témoigné à sa femme assez de tendresse, assez de reconnaissance pour l’amour qu’elle lui portait.

  1. Ces entretiens de M. Necker avec lui-même ont été publiés par le baron Auguste de Staël dans la notice qu’il a consacrée à la vie de son grand-père, en tête de l’édition complète des Œuvres de M. Necker, t. I, p. 334.