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le brouillon est demeuré dans les archives de Coppet[1]. Dans ce Mémoire, elle faisait valoir que, d’après les lois récentes, née en France, y ayant toujours résidé, elle était Française, que son mariage n’avait pu lui faire perdre cette qualité, et que les femmes des étrangers amis de la France et reçus dans son sein ne devaient pas perdre le droit imprescriptible de leur naissance.

D’ailleurs, ajoutait le Mémoire, qu’on leur donne ou non le titre de citoyennes, des femmes françaises, des êtres quels qu’ils soient, nés et résidant en France, qui ne connaissent point d’autre patrie, qui parlent la même langue, qui ont besoin du même air, qui sont faits aux mêmes habitudes, qui éprouvent en un mot tout ce qui constitue le patriotisme, tout ce qui lie au sol qui nous a vu naître, ne peuvent être mis pour ainsi dire hors la loi et exposés à subir arbitrairement et sans jugement la peine de la déportation, cette peine si grave qu’on l’a trouvée suffisante pour Collot d’Herbois et Billaud-Varennes.

Mme de Staël accompagnait ce Mémoire, à la rédaction duquel il est manifeste qu’elle avait contribué, d’une lettre « au citoyen ministre de la Justice, » où elle revenait sur ces argumens et qu’elle terminait ainsi :

En insistant sur mon droit, citoyen ministre, je suis loin de penser que j’eusse rien à craindre des dispositions du Directoire ; je crois que mes opinions sont assez connues pour que je n’aie rien à craindre personnellement des vrais amis de la liberté ; je sais d’ailleurs que mon état de grossesse me met à l’abri, par toutes les lois de l’humanité comme par toutes les lois de France, d’aucun acte de rigueur ; mais vous trouverez sans doute, citoyen ministre, qu’il est dans l’esprit républicain de chercher avant tout l’appui de la loi et de recourir toujours à son égide.

Malgré ses protestations, Mme de Staël n’en dut pas moins, sans être victime d’une mesure de déportation, passer de nouveau à Coppet toute l’année 1796 dans un demi-exil. Au cours de cette année, elle eut encore le désagrément d’apprendre qu’elle avait été portée, par le Commissaire exécutif de la République dans le département de l’Ain, sur une liste de personnes dont l’arrestation était prescrite, si elles pénétraient en France, liste où figuraient en majorité des faussaires et des malfaiteurs. Son indignation s’accrut encore lorsque, quelques jours après, elle apprit que c’était sur l’ordre même du ministre de la Police que son nom avait été porté sur cette liste. Qu’aurait-elle

  1. Je ne saurais dire exactement si ce Mémoire et cette lettre ont été envoyés.