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pour Mme de Staël, c’est qu’elle n’aimait pas son « honorable patrie, » ainsi qu’elle disait en raillant. Elle l’accusait de vivre « en pleine stupidité. » Il faut le lui pardonner, La Suisse ne fut jamais pour elle qu’un lieu d’exil et il suffisait à sa nature indépendante qu’un séjour lui fût imposé pour qu’elle le prît en aversion. Aussi ne sût-elle jamais apprécier, comme ceux qui y ont fait de fréquens séjours depuis leur jeunesse, le charme un peu austère de Genève, surtout de la Genève d’autrefois, moins riante que celle d’aujourd’hui. Toujours elle répudia son origine suisse, comme si elle avait eu le pressentiment qu’un jour, à propos de ses opinions ou de son style, on lui jetterait à la tête cette qualification, à mon sens, peu fondée, car il est difficile d’être moins Suisse que l’auteur de Corinne. Toujours elle s’efforça d’établir, en s’appuyant sur des argumens juridiques un peu faibles, qu’elle était Française. Parfois elle acceptait, quand elle en reconnaissait l’intérêt pour elle ou pour ses enfans, d’être considérée comme Suédoise, « citoyenne d’Ostrogothie, du Pôle Nord si tu veux, » écrivait-elle à son mari ; mais ce qu’elle ne voulut jamais admettre c’est qu’elle fût Genevoise.

Ce n’est pas qu’elle n’eût contracté à Genève des relations d’amitié qui lui furent toujours précieuses, entre autres avec sa cousine Mme Rilliet-Huber qui fut la compagne de sa jeunesse, que nous retrouverons au lit de mort de M. Necker et dont les archives de Coppet contiennent de jolies lettres, et surtout avec sa cousine Mme Necker de Saussure, la fille du grand physicien qui avait épousé un neveu de M. Necker et dont elle disait si joliment : « ma cousine a tout l’esprit qu’on me prête et toutes les vertus que je n’ai pas[1]. » Ce n’est pas qu’elle ne rendit justice au mérite particulier de certains Genevois. Lorsque M. de Saussure fut ruiné et banni par les dissentions intestines de la République de Genève, elle se dépensa en efforts pour lui assurer, soit en France, soit en Suède, une situation honorable. Elle était en relation et en correspondance avec Pictet de Rochemont, un des personnages les plus considérables de la République, qui devait la représenter un jour au Congrès de Vienne et obtenir la consécration de son indépendance. Sismondi, Genevois d’origine, devint, quelques années plus tard, un des familiers de Coppet. À une époque postérieure, elle reconnaissait que

  1. Mme Necker de Saussure a consacré à Mme de Staël une délicate notice qui est reproduite en tête de toutes les éditions des œuvres complètes de Mme de Staël.