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temps, une Épitre sur le malheur au début de laquelle, après avoir adressé une apostrophe à l’ « heureuse Helvétie : »


De la tranquille paix ô dernière patrie,

après avoir, dans quelques vers assez faibles, décrit le lac et les montagnes qui


Peignent leur cime auguste au milieu de ses eaux,


elle ajoute ceux-ci, qui ne sont pas sans quelque profondeur :


Quoi, disais-je, ce calme où se plaît la nature
Ne peut-il pénétrer dans mon cœur agité.
Et l’homme seul, en proie aux peines qu’il endure,
De l’ordre général serait-il excepté ?


Bien des années après, elle a traduit, dans une meilleure prose, ce sentiment, lorsque, dans les Considérations sur la Révolution française, elle raconte les longues promenades que, durant la domination de Robespierre, elle faisait avec son père sur les bords du lac de Genève. « Ce qui nous frappait le plus, dit-elle, c’était le contraste de l’admirable nature dont nous étions environnés, du soleil éclatant de la fin de juin, avec le désespoir de l’homme, ce prince de la terre qui aurait voulu lui faire porter son propre deuil, » et elle convient qu’elle reprochait au « soleil et aux fleurs d’éclairer et de parfumer l’air en présence de tant de forfaits. » Ainsi elle partageait par avance les griefs que Vigny devait traduire un jour dans des vers célèbres contre la « froide nature, » lorsqu’il l’accuse de n’être pas une mère, mais une tombe, et elle lui reprochait, comme plus tard Leconte de Liste, « sa gloire indifférente, »


Ignorant que l’on souffre et qu’on puisse en mourir.


Mais il n’y a point de griefs là où il n’y a point un fonds d’amour, et Mme de Staël n’était pas aussi insensible à la nature qu’on l’a prétendu. Lorsqu’elle disait qu’elle n’aurait pas ouvert sa fenêtre pour voir la baie de Naples et qu’elle aurait fait cent lieues pour causer avec un homme d’esprit qu’elle ne connaîtrait pas, elle donnait, ainsi que cela lui arrivait souvent, une forme excessive et paradoxale à sa pensée et se calomniait un peu elle-même.

Ce qui contribuait à rendre les séjours en Suisse pénibles