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en les produisant au jour, les circonstances où quelques-unes de ces lettres ont été écrites et j’y entremêlerai quelques fragmens des réponses de M. Necker. La mémoire de la fille et du père ne pourra, je crois, que gagner à l’exhumation de ces feuilles jaunies par le temps. « Peut-être, comme je l’écrivais, il y a plus de trente ans, doit-on quelque chose à ceux qui vous ont précédé directement dans la vie. » J’ai, en effet, publié ici même, presque à mes débuts dans la vie littéraire, une série d’études sur le Salon de Mme Necker, et j’ai conduit depuis le presbytère de Crassier où elle prit naissance jusqu’au monument où elle fut ensevelie à Coppet celle qui fut la mère de Mme de Staël. Je me propose, dans cette seconde série d’études, de montrer M. Necker accompagné jusqu’au terme d’une vieillesse sereine et digne par la tendresse passionnée de sa fille et de le conduire jusqu’au tombeau où sa femme, dans une adjuration passionnée, l’avait supplié de réunir un jour leur dépouille. Ainsi, comme un animal sur ses fins, — tous les veneurs comprendront la comparaison, — je reviendrai à mon lancer, et en même temps, j’aurai accompli jusqu’au bout une tâche pieuse.


I

Pendant les longues années que dura la retraite de M. Necker à Coppet, Mme de Staël fut tout le temps partagée entre deux sentimens : son amour pour son père et son amour pour la France. Quand elle était à Paris, elle souffrait de sentir son père seul. Quand elle était à Coppet, elle souffrait d’être loin de Paris, car sa nature douloureuse, « ardente et triste, » comme elle se dépeignait elle-même, oscillait sans cesse d’une souffrance à une autre. À Coppet, elle se consacrait sans réserve à M. Necker.

Je lui suis entièrement dévouée, écrivait-elle à son mari[1], le matin la promenade, le soir le piquet ; ne point sortir, ne recevoir personne ; enfin plus consacrée que je ne l’étais étant fille.

Et dans une autre lettre :

Tu n’as pas idée du mouvement que je me suis donné pour être, à moi seule, une assemblée nationale entière. Je m’étourdis pour ne pas être hors

  1. Les Archives de Coppet contiennent un grand nombre de lettres adressées par Mme de Staël à son mari pendant que celui-ci était retenu à Paris ou appelé en Suède par ses fonctions d’ambassadeur.