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se dissimulent et, d’abord, prennent de beaux dehors. Mais elles préparaient tous leurs dégâts, tandis que nous les admirions et tandis que nous étions si adroits à orner d’elles nos écrits et nos têtes.

Puis, on vit ce qu’elles valaient ; et l’on fut dégoûté de plusieurs d’entre elles, qu’on avait célébrées étourdiment.

Serait-il bien difficile de trouver, dans les œuvres des écrivains que tourmente l’anarchie contemporaine, les premiers principes, anodins hier, de cette anarchie ? Ils ne se méfiaient pas ; et ils ne prévoyaient pas qu’avec leur ingénieuse pensée on ferait du pacifisme et de la lâcheté, du syndicalisme et de l’émeute.

Quel réveil ! et quel brusque désenchantement ! Tout le plaisir de la plus fine intelligence en fut gâté. Se pouvait-il qu’on eût ainsi dénaturé les trésors de l’imagination la plus vive et la plus savante ? Il fallut bien ouvrir les yeux à l’évidence. « Trop de bandits sinistres sont sortis, — avoue M. Capus, — de notre camaraderie avec l’anarchie. » Trop de bandits : ceux qui travaillent le revolver au poing, ceux qui ont des astuces moins rudes, et puis d’autres encore, plus nonchalans, en perdition pareille ; et, auprès de ces criminels, actifs ou non, la quantité des âmes égarées.

Que faire ? Il s’est manifesté, dans la plus brillante littérature contemporaine, un scrupule : cette brillante littérature, où les plus délicats amateurs d’idées avaient répandu leurs découvertes, s’est émue des malheurs qu’on lui imputait. Je ne dis pas qu’elle soit si coupable ; et, d’habitude, l’accusation lui fut lancée par ceux-là mêmes qui méritent d’être accusés, ceux qui avaient pour mission d’agir, et qui n’ont rien fait ou qui ont méfait. Peu importe : si les maîtres de l’action ne rougissent pas encore, nous avons senti, chez les maîtres de la pensée, un frémissement d’inquiétude ; de la première page à la dernière, il passe, furtif et continuel, dans le livre que j’analyse.

Ce livre contient, je le disais, l’examen de conscience de toute une génération littéraire. Il contient aussi le ferme propos de l’amendement. Est-ce que nous allons devenir des apôtres ? S’il y a des apôtres parmi nous, qu’on les entende ! Et, quant à eux, qu’ils se moquent de la littérature ! Mais aussi, la littérature n’a point à les suppléer. Si notre littérature française, libre et allègre depuis ses origines, plus libre et allègre d’âge en âge, s’emmitouflait et s’engonçait de puritanisme, ce serait au surplus grand’pitié. Nous blâmerions sa pénitence. Il me semble que M. Alfred Capus a donné la note la meilleure, quand il a écrit : « L’ironie et le dilettantisme, nous les mettrons mieux à leur place. Ce sont les dispositions exquises de notre esprit, si nous ne les