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Et, pour n’appeler en témoignage que la philosophie, Platon, parvenu au point où s’arrêtait sa dialectique, installait là des fables enfantines ou populaires, libres symboles de l’inconnu et toile peinte qu’il tendait devant le vide.

Je me demande si, — tous les élémens de la comparaison réduits à leurs dimensions normales, — le badinage ne joue pas, dans la philosophie de M. Alfred Capus, le même rôle que les mythes dans la philosophie de Platon.

Puis il est une forme de la politesse et de l’urbanité. Doucement présentée, la vérité n’est pas offensante. Pourquoi veut-on qu’elle le soit ? Ne lui donnez donc pas cette mine renfrognée des pédans que tous les moralistes français ridiculisent. Elle sera persuasive en étant belle et aimable.


Ainsi la présente M. Alfred Capus, moraliste français, et de la bonne lignée.

Il y a, dans Les mœurs du temps, des remarques et des préceptes, ceux-ci autorisés par celles-là ; et il y a, dans Les mœurs du temps, l’examen de conscience de la génération que j’ai tâché de définir.

Les caractères de l’époque, tels que l’auteur de ce volume les a notés, on peut les résumer d’un mot : l’anarchie. Et l’anarchie de toute sorte. Il la montre partout. Dans la politique ? Il écrit : « Depuis que les gouvernemens n’ont plus de forme... » Dans la littérature ? Poètes, conteurs et penseurs ne sont occupés qu’à élire, au suffrage universel, leurs princes ; et « les mœurs électorales s’introduisent dans le domaine littéraire : » les mœurs électorales, donc l’anarchie organisée. Dans la morale ? C’est ici que triomphe l’anarchie. Quel désordre ! M. Alfred Capus en fait une peinture étonnante, et qui vous divertit avant de vous effrayer. A chaque page, une petite comédie apparaît, amusante, et puis inquiétante, et puis redoutable. Les personnages sont des gens qui ont figuré dans les journaux, à la rubrique des faits-divers, ou bien à colle du théâtre, ou bien à celle de la mondanité, ou bien à celle des tribunaux, car tout arrive ; et ce sont des gens que nous n’avons jamais vus (évidemment) : mais ils ressemblent à d’autres que nous avons rencontrés et à qui manqua seulement (nous l’imaginons avec crainte) l’occasion de se révéler.

Ces petites comédies, mêlées de drame, M. Alfred Capus les raconte très vite ; et, en quelques traits, il a tout indiqué. Un marguillier d’Igornay vient de mourir brusquement. Aussitôt, on arrête le curé ; on l’emprisonne. Les preuves manquent : on lui rend sa liberté.