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vers une autre ambition sa fatuité légitime : n’étant pas la plus forte, elle a voulu être la plus intelligente. Et c’est ainsi qu’elle inventa ce badinage, qui est une sorte de suprématie générale sur toutes les idées, une domination spirituelle de toutes les idées et, à l’égard de toutes les idées, une désinvolture élégante et magistrale, une tyrannie nonchalante et gracieuse. Badinage littéraire, badinage philosophique et badinage universel. Plusieurs de nos écrivains ont mis leur vigilance et leur coquetterie à présenter sous une forme légère les plus graves problèmes. Leur manière est mélancolique et narquoise ; et jamais une exquise fantaisie n’avait si amplement régné sur tout le domaine de la rêverie, du sentiment, de la méditation.

Pareillement, à l’époque révolutionnaire, quand une barbarie extravagante menaçait d’anéantir le subtil chef-d’œuvre d’une civilisation que des siècles délicats avaient accomplie, quelques survivans partirent : ils emportaient et ils allaient mettre en lieu sûr le trésor de notre causerie. Dans les petites cours d’Allemagne ou d’ailleurs, comme la France était conquise, on les vit, — avec un air de futilité, mais pathétique, — reconstituer une image menue de leur patrie. Quand ils revinrent, ils rapportèrent ce qu’ils avaient sauvegardé, ce qui, sans leur soin jaloux, était perdu.

Mais on objecte au badinage de ces quarante dernières années, on lui objecte, et durement : — Il y avait pourtant mieux à faire, mieux et plus pressé !...

Peut-être. Et que ne l’a-t-on fait ?... Seulement, si en telle occurrence chaque Français avait sa tâche, tous n’avaient pas la même tâche ; et, si quelques-uns faillirent à la leur, ce ne sont pas les écrivains : les politiques ont la responsabilité.

D’ailleurs, ce n’est pas que je confine la littérature dans le badinage, certes. Un Paul Bourget qui, depuis quarante ans bientôt, consacre son labeur admirable à composer les systèmes d’idées sur lesquels s’appuieraient notre conscience et nos arts, est l’un des grands ouvriers de la nation. Mais il fallait aussi que ne disparût point, du visage de notre littérature, un sourire que les autres littératures n’ont pas, le plus adorable sourire et auquel les circonstances donnaient une fierté quasi héroïque de défi, d’impertinence et de grâce.


Ce sourire, qui éclaire toute l’œuvre de M. Alfred Capus, on l’aimera plus que jamais dans ce beau livre si charmant : Les mœurs du temps.

C’est un recueil d’essais, — de chroniques qui ont paru dans le