Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/659

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

que ni le Saint-Siège, ni l’ordre européen n’en profiterait. Savoir attendre, telle était l’âpre science, parfois utile, mais parfois illusoire, que Bismarck chargeait Galimberti d’enseigner à Léon XIII.

Quelques mois se passèrent ; lorsque Frédéric III eut mis cent jours et cent nuits à glisser du trône dans le cercueil, Guillaume II devint empereur. On apprit qu’en octobre il irait à Rome rendre visite au roi Humbert, que les nécessités de la Triple-Alliance l’exigeaient, mais qu’il voulait, aussi, voir le Pape, et qu’il se soumettrait aux formalités imposées, cinq ans plus tôt, à son père le prince Frédéric. Guillaume II passa par Vienne, vit deux fois Galimberti ; et Galimberti tâcha, parait-il, de faire comprendre au Pape, dans ses dépêches, qu’il ne serait pas opportun d’aborder avec Guillaume la question romaine. Mais Léon XIII ne voulait plus « attendre ; » Guillaume attendait-il, lui, pour aller voir Humbert, et pour se donner l’apparence, ainsi, de ratifier une solution inacceptable au Pape ? Grâce à l’excellent réseau policier dont l’Italie crispinienne entourait la cime de l’Église universelle, Crispi sut les intentions du Pape ; et Crispi décida qu’elles ne seraient pas réalisées, que le Pape ne dirait pas à Guillaume tout ce que le Pape lui voulait dire.

Alors se trama, entre lui et Herbert de Bismarck, un étrange complot qui de point en point s’accomplit ; complot contre le protocole, complot contre le droit du Pape à prolonger son tête-à-tête avec le visiteur qu’il reçoit. Guillaume II entra ; sur les propos qui s’échangèrent, les versions diffèrent. Il en est une, provenant évidemment du Vatican, et que publia la Civiltà cattolica. D’après cet organe, Léon XIII rappela tout de suite à Guillaume avec quel appareil, plus digne du Saint-Siège et plus digne des visiteurs, Frédéric-Guillaume IV, jadis, avait été reçu par Grégoire XVI, et le prince Frédéric, en 1853, par Pie IX ; et Léon XIII se plaignit de sa situation, — se plaignit, aussi, des commentaires hostiles au Saint-Siège, auxquels donnait lieu, dans la presse du Quirinal, la venue de l’Empereur à Rome. Guillaume répondit en parlant du prestige de la Papauté, et de la vénération qui partout en Europe s’attachait au Pontife. C’était vague. Léon XIII, le ramenant au fait, lui dit en substance : Ma situation, la voici ; je ne puis vous rendre votre visite sans compromettre ma personne ni ma dignité.

Une autre version, donnée par l’auditeur Montel dans une lettre à Galimberti, et provenant évidemment des conversations