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l’un des plus gros nuages qui semblaient encore la menacer.

Voilà l’issue finale où venait aboutir ce rêve d’une Eglise nationale allemande qui, durant les premières années du Culturkampf, avait obsédé certains esprits ; ce rêve auquel Bismarck lui-même, parfois, avait eu l’air de n’être point inaccessible. L’influence du Pape, directe et souveraine, s’exerçant par-dessus l’épiscopat, et dans un sens autre que celui que l’épiscopat eût tout d’abord souhaité, avait rétabli le calme : les évêques, dociles, s’étaient inclinés. Et voici qu’ils étaient les premiers à ne point considérer que l’action du Pape sur leur Église et sur les rapports de cette Eglise avec l’Etat dût être quelque chose de provisoire, d’éphémère, qu’elle dût être l’exceptionnelle solution d’une crise exceptionnelle ; ils se remettaient à l’invoquer pour le règlement de certaines questions de détail qui leur paraissaient urgentes. Et le chancelier, — ce même chancelier qu’entouraient jadis les partisans d’une Eglise nationale, — goûtait cette nouvelle méthode, qui pacifiait l’état d’âme des catholiques de Prusse et qui pacifiait les rapports entre leur Eglise et le pouvoir civil ; il n’avait plus d’objections, loin de là, contre la soumission de l’Eglise prussienne à cette souveraineté internationale, la Papauté.

Il faut que les Etats persécuteurs en prennent leur parti : une loi de l’histoire existe, confirmée par le XIXe siècle, d’après laquelle toutes les persécutions contemporaines ont pour effet, dans le pays où elles se déchaînèrent, un accroissement notable de la puissance pontificale. La Révolution française avait prétendu exclure le Pape de la vie de l’Eglise de France ; la paix religieuse ne fut rétablie, au Concordat, que par le geste de Pie VII, — geste inouï pour les canonistes d’ancien régime, — dépossédant de leurs sièges 86 évêques. Tout près de nous, la troisième République voulut contester au Pape son droit de faire démissionner deux évêques ; le Pape, dans la France d’aujourd’hui, nomme tous les évêques, tout seul. Le Culturkampf avait arboré, contre le romanisme, le drapeau du germanisme ; la « patrie allemande, » une fois lasse, faisait appel au romanisme pour recouvrer la paix ; Bismarck collaborait avec celui que les Hohenzollern d’autrefois qualifiaient d’Ante-Christ, et le manifeste qu’adressait au peuple allemand la Ligue évangélique constatait « que le Culturkampf et la façon dont il s’achevait avaient rehaussé jusqu’à l’extrême la puissance du romanisme. »