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pas susceptible d’une preuve directe, et que, dans le mariage même, c’est par une simple présomption que le mari de la mère est déclaré père de l’enfant ? L’argument est saisissant. Les magistrats, qui accordaient des dommages-intérêts à la fille-mère, n’ont pas voulu le combattre. Ils l’ont combattu toutefois, ou, du moins, ils ont montré qu’on pouvait, sans imprudence, admettre une paternité naturelle dans des cas déterminés. Il est prouvé qu’un homme a obtenu les faveurs d’une fille vierge en lui promettant de l’épouser, et cette fille devient mère dans le même temps où elle cédait à cette promesse ; les tribunaux n’ont pas dit que cet homme était le père de l’enfant, mais ils l’ont considéré comme tel, puisqu’ils l’ont condamné à des dommages-intérêts, et ils ont eu évidemment raison. Un autre homme écrit, pendant la grossesse, en reconnaissant sa paternité ; il la reconnaît mieux encore, après la naissance, en aidant à l’éducation de l’enfant ; les tribunaux ont retenu à sa charge cette conduite et ces engagemens. Qu’ont-ils fait dans l’un et l’autre cas ? Ils ont établi, sans le dire, que la paternité naturelle pouvait être proclamée contre la résistance du père, lorsque c’était lui-même qui, par ses écrits, par ses actes, l’avait formellement avouée. Dès lors, il n’y a plus d’incertitude ; du moins, l’incertitude physiologique est dissipée par les raisons les plus fortes, à savoir le consentement et la reconnaissance du père.

On voit quel appui les partisans de la recherche trouvaient dans cette jurisprudence humaine autant qu’ingénieuse. Tandis que les magistrats leur rendaient ainsi le service d’user lentement les obstacles, ils redoublaient d’ardeur. Dans leur campagne, les impulsions généreuses et les soucis d’équité ont eu certainement plus de part et plus d’effet que les attaques systématiques contre le mariage, la famille légitime et la société régulière. Il restait cependant qu’à permettre la recherche de la paternité, on ne se contentait pas de tirer de peine les filles-mères abandonnées ; on attribuait un état civil, des droits moraux et pécuniaires à des enfans naturels ; on faisait tort aux enfans légitimes que le père pourrait avoir en se mariant ; on portait une atteinte sérieuse à la famille légitime. Mais il s’est produit ici un phénomène analogue à celui qui a montré l’intérêt général des femmes engagé autrement qu’il ne l’était jadis, et dans le sens de la recherche plutôt que pour son interdiction.