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qui est d’interdire la recherche, absolument. Depuis le Code civil, chaque fois qu’un effort s’est dessiné pour modifier la loi, on n’a pas manqué de dire : « Songez aux procès abominables que vous allez provoquer ! Il n’est pas une fille de ferme qui ne s’entendra avec un domestique, pas une ouvrière qui ne se mettra d’accord avec un camarade pour organiser contre le maître, contre le patron, le chantage qu’il est presque impossible de déjouer, et qui laisse toujours, même quand il échoue, sur les réputations les plus respectables, une trace suspecte ! » Ce langage était assez troublant : en 1883, il n’a pas manqué son effet. Et pourtant, en 1883 déjà, la jurisprudence montrait ses excès et ses erreurs. Les tribunaux allouaient des dommages-intérêts à la fille séduite comme à la mère envers qui le père naturel avait reconnu, et sa faute, et son devoir de la réparer. Suppose-t-on que de tels procès ne comportaient aucun scandale ? Évidemment non. La curiosité publique s’éveillait ; les journaux donnaient des comptes rendus ; il se faisait du bruit autour des causes de cette espèce. Mais les magistrats ne s’en étaient pas émus, et avaient maintenu fermement leur jurisprudence. Ils s’inspiraient d’un double motif : d’abord le scandale n’était pas à regretter quand il punissait la perfidie d’un séducteur ou la lâcheté d’un père naturel soudain fatigué de nourrir son enfant ; d’autre part, les scandales immérités devaient se faire de plus en plus rares, et même finir par disparaître, quand il serait dûment établi et connu de tout le monde qu’aucune demande ne pouvait réussir, à moins d’être fondée sur des preuves certaines, ou de la séduction, ou des engagemens du père naturel. C’est ainsi que, depuis 1845 jusqu’à maintenant, et surtout dans les trente dernières années, les tribunaux ont accueilli libéralement les réclamations appuyées par des lettres, par des documens précis, et ont rejeté toutes les autres. Il en est résulté que de nombreuses infortunes ont pu être réparées : il n’en est pas résulté que des familles irréprochables fussent troublées par le scandale. Et l’on voit donc que le travail obstiné de la jurisprudence avait rendu assez vaine la crainte de ce scandale, en démontrant qu’au prix d’un peu de sagacité et de quelques précautions il pouvait être évité.

Il faut en dire autant de cette autre crainte qui se fondait sur l’impossibilité de prouver la paternité naturelle. Comment, disait-on, autoriser la recherche, alors que le fait de la paternité n’est