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il n’y a pas eu de promesse de mariage, pas de séduction au sens légal ; mais pendant la grossesse, après la naissance de l’enfant, le père s’est reconnu lui-même pour tel, et s’est engagé à secourir la mère ; ici encore, sans rechercher la paternité, on peut retenir l’aveu et l’engagement, et par suite, sans enfreindre la loi, condamner cet homme à payer une indemnité. On voit combien le détour est ingénieux. Ce n’est qu’une subtilité. La loi n’est respectée qu’en apparence. En fait, sinon en droit, les juges en arrivent à qualifier un homme de père naturel, alors que la loi ne permet de donner cette qualité qu’à celui qui la prend volontairement dans un acte authentique.

L’effort des magistrats avait du moins réussi à mettre de la justice et de l’humanité dans une loi qui en était trop dépourvue. Il avait eu d’autres conséquences importantes, qui étaient d’affaiblir peu à peu deux raisons invoquées dès le Code civil pour interdire la recherche de la paternité : à savoir la crainte du scandale et l’incertitude de cette paternité.

Autant que l’argument d’utilité morale, tiré de l’intérêt général des femmes, la peur du scandale est cause que la recherche de la paternité fut interdite en 1804, après l’avoir été dès la Révolution. L’ancienne France, on le sait, admettait la recherche ; on connaît la maxime énergique de Loisel « qui faict l’enfant, le doit nourrir ; » on connaît aussi cette règle singulière : virgini parturienti creditur, accordant créance, et du moins une créance provisoire, à la fille qui dénonçait dans les douleurs de l’enfantement le père de son enfant ; et tout le monde se rappelle enfin les abus si justement dénoncés par l’avocat général Servan, au XVIIIe siècle, d’une recherche trop facile et trop souvent intéressée. Ces abus avaient assez vivement frappé les contemporains pour que le droit révolutionnaire, si favorable aux enfans naturels, leur défendît cependant de rechercher leur père ; au surplus, les idéologues de la Convention n’admettaient pas que les parens naturels fussent assez peu soucieux de leur devoir pour ne pas reconnaître tout de suite, et volontairement, les enfans nés de leurs œuvres. Au temps où se rédige le Code civil, cette vue abstraite est délaissée. Mais on n’oublie pas les recherches scandaleuses de l’ancien régime ; on n’en veut à aucun prix, et on prend, contre la possibilité du scandale, la mesure la plus énergique