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à la prostitution. Enfin, et en mettant les choses au mieux, le fardeau de l’enfant pèse de tout son poids sur une créature assez en peine de gagner sa propre vie, alors que le père de cet enfant est libre, insouciant, joyeusement oublieux. De si misérables déchéances sont-elles à l’avantage de toutes les femmes ? On a pu le penser dans un temps où chacun sentait la force d’une discipline sociale inflexible, et où ces cruelles aventures ne montraient à tous que leur valeur exemplaire. Mais parce que la discipline a faibli, parce que l’utilité de tels exemples n’apparaît plus, on voit au contraire que toutes les femmes sont intéressées à ce que celles qui ont failli n’aillent pas jusqu’au crime, ne tombent pas dans la prostitution, ne soient pas écrasées par la misère. Du moins, l’intérêt des femmes reste avant tout de préserver la dignité féminine qui ne trouve sa sauvegarde que dans le mariage. Mais leur intérêt est ensuite de ne pas abandonner à tous les égaremens du désespoir celles qui ont eu la faiblesse de succomber.

Ainsi comprise, cette sorte d’utilité devait d’autant mieux convaincre les esprits qu’il s’y mêle une raison toute sentimentale, un désir de justice et un besoin de charité. Il est à l’honneur de notre temps, si imparfait par ailleurs, qu’on n’y peut rien tenter contre ce double sentiment, et qu’il suffit, à lui seul, pour combattre et ruiner des usages, des institutions par lesquels il est trop vivement choqué. Ni la justice, ni la charité ne s’accommodent de l’inégalité des devoirs et des charges entre le père et la mère naturels : c’est pourquoi cette inégalité est apparue, de plus en plus, dans nos lois, telle qu’une étrangeté pénible et même odieuse, et il a été aussi facile de la supprimer en 1912 que, naguère, il avait semblé nécessaire de la conserver. On reconnaît ici un témoignage significatif de l’évolution qui s’est faite depuis un siècle et surtout depuis trente ans. Si elle s’est précipitée en ces derniers temps, c’est qu’on est mieux averti de toutes les infortunes, et qu’on s’y préoccupe davantage de les soulager. Les malheurs de la fille-mère ont attiré particulièrement ces soucis. On s’est inquiété de savoir ce qu’elle pouvait devenir ; on est allé à son secours, tant à cause d’elle que pour son enfant : les œuvres se sont multipliées. Et cet élan charitable, qu’on le remarque, est venu de la classe sociale la plus directement intéressée au maintien d’une discipline qui fait encore, telle qu’elle existe, le meilleur de sa