Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/618

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

c’est-à-dire dans la proportion de 5 pour 100. En 1883, on trouve 74 000 enfans naturels contre 864 000 légitimes, c’est-à-dire une proportion de 8,56 pour 100 ; et en 1910, les naissances illégitimes sont de 67 000 contre 707 000 légitimes, c’est-à-dire une proportion de 9,47 pour 100. Qu’est-ce à dire ? On a prétendu effrayer les femmes en interdisant la recherche de la paternité et en leur imposant la charge exclusive de l’enfant ; on a cru, par cette frayeur, les empêcher de succomber. Voici les faits : le nombre de celles qui succombent, loin de diminuer, s’est accru. On ne manquera pas de répondre, et on a répondu, en effet, que les conditions générales de la vie avaient grandement changé, et que c’étaient elles qu’il fallait rendre responsables de cet accroissement de naissances naturelles. A n’en pas douter. Mais la loi doit être adaptée à la société du XXe siècle, non pas à celle de 1804. Paris n’a plus 500 000 habitans, mais 2 500 000 ; les grandes villes qui n’existaient pas, il y a cent ans, se sont partout développées ; les usines qu’on ne connaissait pas se sont partout édifiées. Et la grande ville, la vie de l’usine et de l’atelier, exposent une foule de jeunes filles à la promiscuité journalière, aux tentations du plaisir, de la coquetterie, de l’amour enfin. On peut le regretter, mais c’est un fait ; c’est bien cette existence et non pas une autre qu’on voit dès qu’on jette les yeux autour de soi, et il n’est pas permis de constater les risques qu’elle comporte sans s’inquiéter aussitôt de protéger toutes ces jeunes filles qui ont souvent la force d’y résister, mais qui n’ont jamais la liberté de s’y soustraire.

Ici l’argument ancien de l’utilité féminine a singulièrement évolué, pour venir en définitive à l’encontre de la thèse qu’il fortifiait jadis. La preuve est faite : la crainte de l’enfant qu’il faudra mettre au monde, nourrir, élever, est sans force pour retenir un trop grand nombre de ces filles au moment de la faute. La défense de rechercher le père naturel manque ainsi son but essentiel. Que donne-t-elle alors ? Elle donne ceci que les filles-mères, ouvrières, domestiques, après avoir cédé souvent soit à un abus d’autorité, soit à une promesse de mariage, soit à une séduction dolosive, se trouvent seules pour subir l’épreuve morale et physique de la maternité, pour en supporter toute la charge pécuniaire. Certaines s’affolent. De là des crimes contre l’enfant : avortemens, infanticides ; des crimes contre l’amant, revolver ou vitriol. D’autres se laissent glisser