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même faveur qu’autrefois. Cela dit, on doit s’empresser d’ajouter que d’autres causes ont agi. Ce n’est pas tout qu’un projet de réforme, qui atteindra les hommes de toutes les conditions, ne se heurte pas à des idées solides, infranchissables qui l’arrêtent au passage ; il a besoin qu’un courant vigoureux l’entraîne. La route est si longue aujourd’hui, si tortueuse, si encombrée pour mener un tel projet de ses origines premières jusqu’au terme où il deviendra loi ! La recherche de la paternité a été justement soutenue par quelques raisons vigoureuses qui faisaient mieux que d’apaiser les hostilités, qui lui gagnaient des sympathies. Et ces raisons se rapportent à la fille séduite, à l’enfant né de la séduction.


II

Le principal argument qu’on invoquait jadis, pour interdire à la fille-mère de rechercher le père de son enfant, faisait valoir l’intérêt général des femmes. Dans la lutte éternelle qui les expose aux entreprises des hommes, leur intérêt est d’être épousées ; celles qui succombent, au lieu de se donner en légitime mariage, commettent envers leur sexe une véritable trahison. Or, disait-on, il est indispensable, si l’on ne veut pas que les trahisons se multiplient, d’en laisser les coupables éprouver les conséquences les plus dures ; que la fille qui a eu la faiblesse de céder garde donc, avec la honte de sa faute, la charge d’élever seule l’enfant qu’elle met au monde. A ce prix et devant un si pénible exemple, toutes les femmes reconnaîtront les dangers d’une telle faiblesse et l’utilité de la bonne conduite qui leur maintient, à toutes, les meilleures chances d’être épousées. L’interdiction de rechercher le père naturel devait donc servir comme d’une menace qui assurerait, même les plus chancelantes, dans la route du devoir et de l’intérêt général des femmes. En 1804, les rédacteurs du Code civil avaient une foi complète dans cet argument ; en 1883, on y croyait encore, et quand la proposition de M. Bérenger fut discutée au Sénat, M. Cazot la combattit victorieusement par ce moyen qui parut convaincant entre tous. En est-il de même aujourd’hui ? Un argument de morale utilitaire ne vaut que par les résultats pratiques dont il peut justifier. Quels sont ici les résultats ? En 1804, on comptait 42 000 naissances illégitimes contre 862 000 légitimes,