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vénérées du vieil Empereur ne laissent pas échapper les rênes du gouvernement, mais la santé d’un vieillard de quatre-vingt-trois ans est fragile, et une partie du fardeau du pouvoir passe insensiblement sur les épaules plus jeunes de l’archiduc-héritier. De là une dualité de tendances, d’espérances ou de craintes,, selon que l’on regarde du côté de la Hofburg ou du côté du Belvédère ; déjà, ceux qui désespèrent d’obtenir les faveurs de l’Empereur de demain regardent à la dérobée du côté du jeune archiduc Charles-François-Joseph, fils de l’archiduc Otto, marié l’année dernière, sous les auspices du Saint-Siège, à la princesse Zita de Bourbon-Parme, et déjà père d’un fils : quatre générations d’empereurs !

De l’extérieur venaient aussi des préoccupations graves pour le gouvernement de Vienne. Parmi les Roumains, le retentissement des victoires des alliés balkaniques était immense et produisait un mélange d’enthousiasme et de dépit : enthousiasme pour l’épopée chrétienne qui rappelait les temps héroïques ; dépit de rester l’arme au pied tandis que les autres petits peuples accomplissaient des exploits fabuleux. Alors on vit grandir dans l’opinion publique roumaine un sentiment nouveau : la Roumanie n’avait pas su prendre sa part des exploits des chrétiens du Balkan et, en participant avec eux à l’expulsion des Turcs, acquérir des droits à un accroissement de territoire ; elle devait désormais poursuivre une politique exclusivement nationale et, à l’exemple de la Bulgarie et de la Serbie, préparer la réunion de tous les Roumains dans la même patrie, en poursuivant la dislocation de l’Empire austro-hongrois où vivent trois millions de Roumains et la création d’une Grande-Roumanie de dix millions d’âmes qui resterait plus forte que la Grande-Bulgarie ou la Grande-Serbie. Il fallait donc abandonner la politique d’entente avec Vienne et Berlin, s’allier aux États balkaniques, entrer dans leur confédération et s’appuyer sur la Russie, qui venait de rappeler opportunément l’ancienne fraternité d’armes de 1878 en faisant porter au roi Carol le bâton de feld-maréchal de l’armée russe. Politique à la fois d’avenir national et de sécurité, car, à rester dans la mouvance du germanisme, la Roumanie risquerait tôt ou tard de se trouver pressée, écrasée entre la masse slave russe et la masse slave balkanique ; ses intérêts étaient donc d’accord avec ses sympathies. Par une conséquence naturelle, on en venait à incriminer