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Slaves de l’Empire, la joie fut intense ; chaque victoire des alliés retentit dans les cœurs comme le clairon de l’avenir, comme l’annonce de la prochaine grandeur de la famille slave. A Prague, à Zagreb (Agram), chez les Slovènes et chez les Slovaques, chez les Polonais et chez les Ruthènes, en Dalmatie, en Bosnie, en Herzégovine la joie éclata publiquement. Un frisson de fraternité slave passa sur tous ces peuples avec l’orgueil du succès. Les Polonais eux-mêmes, d’ordinaire réfractaires à toute politique d’entente slave, vibrèrent à l’unisson des autres nationalités et se persuadèrent que leur avenir ne pourra devenir meilleur que par une étroite solidarité avec toute la race slave. Chez les Tchèques, un enthousiasme indescriptible éclata ; on eût dit que la victoire des alliés était leur victoire ; une souscription pour les blessés atteignit, en quelques jours, un million de couronnes ; deux cents médecins, parmi lesquels plusieurs professeurs en renom, partirent pour Sophia, Belgrade et Cettigné ; la jeunesse parcourait les rues de Prague en chantant les hymnes serbes et bulgares. Il semblait que la victoire des quatre peuples balkaniques fût la victoire d’une race. Fraternité slave, croisade chrétienne, délivrance des peuples opprimés, toutes les grandes pensées transmises par les lointains ancêtres nourrissaient l’enthousiasme des foules.

C’est naturellement parmi les Slaves du Sud, frères ou cousins des Serbes, que le retentissement des victoires des soldats du roi Pierre fut le plus profond. L’idée d’une fraternité jougo-slave a fait, depuis quelques années, particulièrement depuis l’annexion de la Bosnie-Herzégovine, de très grands progrès, non seulement dans ces deux provinces, mais aussi en Dalmatie, en Croatie et jusque chez les Slovènes de la Carniole. Les Serbes de race et de religion sont nombreux tant en Dalmatie qu’en Croatie et en Hongrie ; on en compte environ deux millions, y compris ceux de Bosnie et d’Herzégovine, qui sont 800 000. Il était naturel que tous ces cœurs serbes vibrassent au récit des hauts faits de leurs frères qui renouvelaient les exploits des héros légendaires célébrés dans ces poèmes nationaux que les vieux bardes chantent d’une voix plaintive en s’accompagnant sur la guzla, et qui vengeaient, après tant de siècles, les héros morts à Kossovo autour du roi Lazare. Mais, cette fois, ce n’étaient plus des contes épiques embellis par la poésie qui couraient de bouche en bouche, c’étaient les récits authentiques de l’héroïsme