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et leur ont annoncé la délivrance prochaine. Par le traité de Passarovitz (1718), les Turcs cédaient Belgrade à l’Empereur avec tout ce qui est aujourd’hui la Serbie septentrionale et la Petite-Valachie jusqu’à l’Aluta ; les Turcs reprirent ces territoires quelques années plus tard, mais Belgrade fut plusieurs fois réoccupée par les armées impériales. La descente des Autrichiens vers la mer Egée est donc une histoire vieille de plus de deux siècles ; elle s’est accomplie parallèlement à la descente russe vers le Bas-Danube et vers le Bosphore. Quand les Russes, en 1876, voulurent précipiter le dénouement, ils conclurent avec l’Autriche un accord (convention de Reichstadt) qui aboutissait, en fait, à un partage. Si Bismarck, dans l’intérêt de l’Allemagne, a enfoncé l’Autriche dans la politique orientale, ce n’est pas lui qui l’y a, le premier, engagée ; c’était la route traditionnelle des Habsbourg ; l’attraction vers le Sud-Est datait, pour eux, de leurs origines mêmes.

Il faut bien observer, quand on veut comprendre la politique autrichienne, qu’il n’y a pas, dans l’Empire des Habsbourg, de politique nationale, pour la raison très simple qu’il n’y a pas de nation ou qu’il y en a plusieurs dont les intérêts sont divergens. C’est la dynastie et la bureaucratie qui ont fait l’Empire et qui, avec l’armée et l’administration, en constituent l’unité : aussi sa politique a-t-elle toujours été et est-elle encore une Kabinetspolitik, une politique de Cabinet, alors que tous les autres États de l’Europe suivent, de plus en plus, une politique nationale qui tend à atteindre des objectifs, à réaliser des visées communes à la nation tout entière, ou à sa grande masse. La politique slave est, pour les Russes, une politique nationale ; elle n’est, pour l’Autriche, qu’une politique d’État. Soumettre les Slaves a été la raison d’être de la fondation de la « marche de l’Est, » par les Habsbourg ; l’œuvre s’est continuée par l’entrée de peuples ou de fragmens de peuples dans l’édifice de l’Empire ; elle s’est étendue, vers le Sud, par la réunion, sous le sceptre des Habsbourg, des Croates et d’une grande partie des Serbes ; vers le Nord-Est, par l’adjonction d’un large morceau de Pologne habité par des Polonais et des Ruthènes (Petits-Russes). L’occupation, en 1878, complétée par l’annexion, en 1908, de la Bosnie et de l’Herzégovine, a fait entrer dans l’Empire de nouveaux pays peuplés de Serbes. Sept millions de Serbo-Croates vivent dans l’Empire, quatre millions seulement en dehors, tant en