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un pas en avant qu’après avoir pris toutes ses sûretés, prépare ses assurances et ses contre-assurances. On ne concevrait pas qu’un tel homme, au moment d’entreprendre une guerre d’où dépendait le sort de son pays, de son trône, de sa vie même, ne se fût pas assuré des dispositions de Vienne comme de celles de Pétersbourg. Ouvrir des avenues dans plusieurs directions pour se jeter délibérément, au moment favorable, dans celle qui paraît la plus avantageuse, c’est la méthode propre à tous les petits États qui peuvent séduire la fortune, mais non la violenter ; c’est la méthode personnelle de Ferdinand de Bulgarie. Jusqu’où ont été ses pourparlers avec le gouvernement autrichien ! se réduisent-ils à des conversations, ou bien y a-t-il eu accord en vue de certaines éventualités, peut-être même convention écrite ? il est difficile de le savoir. Il faut se souvenir qu’en juin 1911 le Grand Sobranié de Tirnovo, convoqué pour réviser la constitution, a décidé, selon le vœu du souverain, que « le Roi représente l’Etat dans tous ses rapports avec les pays étrangers, » et qu’il peut conclure des traités sans la ratification du Parlement. On ignore donc quelles ententes ont pu être conclues par Ferdinand ; mais il est difficile d’admettre que l’alliance balkanique ait pu se former et se préparer à l’action sans que l’Autriche en ait été informée et, si elle ne l’a pas empêchée, c’est qu’elle a cru de son intérêt de laisser les événemens s’accomplir. Oublions les victoires dont nous avons vu se dérouler la fulgurante série ; plaçons-nous dans l’état d’esprit qui régnait dans les chancelleries avant la guerre : les diplomates, qui ont cru à la victoire de l’Autriche en 1866, à celle de la France en 1870, à celle de la Russie en 1904, croyaient naturellement, en 1912, à la victoire des Turcs. N’étaient-ils pas les élèves de von der Goltz ? L’opinion la plus favorable aux petits États était que les Grecs ne feraient rien, que les Serbes seraient battus, que seuls les Bulgares feraient bonne figure et auraient peut-être quelques succès au commencement de la campagne, mais qu’ils seraient vite épuisés, qu’ils n’enlèveraient pas Andrinople et qu’au moment où surviendraient les masses turques d’Asie, ils seraient refoulés. Même parmi les Bulgares on le craignait, et, en tout cas, c’était le devoir du gouvernement de préparer, à toute éventualité, une ligne de retraite et une solution minima. L’intervention de l’Autriche ou celle de la Russie, peut-être de l’une et de l’autre, étaient les assurances indiquées.