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XIII

La moite douceur de l’automne imprégnait le soir. Nous commençâmes à faire les cent pas sur le pont, où quelques voyageurs goûtaient la beauté de la nuit.

— Savez-vous, amiral, reprit Rosetti au bout de quelques minutes, que plusieurs philosophes et astronomes anciens avaient déjà affirmé et cru démontrer que c’est la terre qui tourne autour du soleil ? Les Pythagoriciens, Aristarque de Samos, Séleucus de Séleucie... Comment donc se fait-il que les anciens soient restés aveugles à une vérité si lumineuse ? et qu’au nombre de ces aveugles il y ait eu Aristote et Hipparque lui-même, le plus grand astronome de l’antiquité ? La raison, la voici. Pour admettre que la terre se meut dans l’espace, il faut admettre aussi que les étoiles fixes, tous ces innombrables petits flambeaux que vous voyez scintiller dans ce ciel noir, sont placées à une si grande distance que, pratiquement, on pourrait la dire infinie. Sinon, comment expliquer qu’elles n’ont pas de parallaxe annuelle, ou, pour parler plus simplement, qu’on ne voit aucun changement dans leurs positions apparentes ? En somme, pour que la terre puisse se mouvoir, il faut qu’autour d’elle l’espace s’agrandisse jusqu’aux confins de l’infini ; il faut la lancer et la perdre dans l’infini, imperceptible grain de poussière dans la ronde frénétique de millions et de milliards de mondes semblables. Mais les philosophes et les astronomes anciens ont reculé devant cette audace : car dans cet infini se volatilisait aussi la religion, et avec elle l’art, la morale, l’État, toutes choses qui avaient alors pour base la religion. Leurs pauvres dieux pouvaient bien sans doute surveiller la terre de là-haut, mais à la condition qu’elle demeurât immobile sous leurs yeux, au centre de l’Univers, et qu’elle n’allât pas, vagabondant à travers l’infini, se perdre dans le chœur des astres sans nombre. Bref, le polythéisme ancien exigeait un système géocentrique de l’Univers. Si donc on préféra le système de Ptolémée, encore qu’il fût très embrouillé, ce fut en raison d’un intérêts Mais aujourd’hui le monde n’a plus autant besoin qu’autrefois d’avoir dans le ciel une brigade de dieux gendarmes ; et d’ailleurs le monothéisme chrétien, — c’est une profonde pensée d’Auguste Comte, amiral, — avait déjà commencé à volatiliser la