Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/532

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quand il y avait conduit la flotte brésilienne, — les Lowenthal étaient les banquiers du gouvernement brésilien ; — qu’ensuite, quand M. Feldmann était venu à Rio, celui-ci s’était efforcé d’avoir avec lui de fréquentes relations. Puis il me raconta que le père de M. Feldmann était un banquier de Varsovie, originaire de Francfort, et que, cousin du Lowenthal déjà établi à New-York, il avait été induit par ce dernier, dans le temps de la guerre de Sécession, à concourir aux emprunts sollicités par l’Union : que ces emprunts avaient été le début d’autres affaires ; et que le jeune Frédéric, envoyé près des Lowenthal pour se mettre au courant des choses américaines, était demeuré aux États-Unis. L’amiral m’apprit enfin que M. Feldmann, pour se préparer à entrer dans la diplomatie de la République, avait accepté d’un syndicat d’établissemens financiers la mission de rechercher quelles entreprises le commerce, l’industrie et l’argent de l’Amérique septentrionale pourraient tenter dans l’Amérique méridionale. « Un nouveau caprice de ma femme ! » disait le mari. « Une des innombrables fantaisies de mon mari ! » disait la femme. Mais, quand je lui eus répété sous une forme nouvelle la question que je lui avais déjà posée la veille, à savoir si vraiment le mari et la femme s’entendaient bien, il me répondit qu’il le croyait ; toutefois sa réponse me semblait impliquer des réticences.

Tandis que nous nous attardions à ces propos, Cavalcanti et Alverighi survinrent.

— Amiral, cria Alverighi en apercevant mon compagnon, dites-moi donc, dites-moi donc quel serait, selon vous, le critérium sur du progrès ? Hier soir, mon bon ami Vazquez est arrivé cinq minutes trop tôt.

L’amiral, qui me parut un peu gêné par cette curiosité envahissante, essaya d’abord de se dérober ; mais enfin, rougissant comme un écolier timide qui a un examen à subir :

— Le monde est ordre, dit-il. Tout y obéit à des lois immuables : les planètes qui évoluent dans l’espace, le boulet qui sort de la gueule du canon, la plante qui croit, l’hélice qui propulse ce navire, l’homme et sa pensée, les peuples, les civilisations. Lois obscures d’ailleurs, cachées, difficiles à découvrir. C’est pourquoi, d’abord, l’homme n’a vu dans l’univers qu’un chaos de forces capricieuses, — les divinités, comme il les nomma, — et il se crut lui-même en la puissance de ces forces.