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gris de la mère, et les cheveux bouclés de la pauvre Stephana. Et aussitôt son cœur bondit de joie. « Pauvre petite, tu vas pouvoir t’en retourner dans ta maison ! Te voilà sauvée ! »

Ah ! là-bas, au fond de la place, le bourreau s’en va avec ses aides, comme une troupe de diables à la queue coupée. Allons, vieux coquin, rentre dans ton trou de renard ! La petite n’a plus à te craindre ! L’Hôtel de Ville élève sa masse noire, sans que l’on voie personne entrer ni sortir. Évidemment personne n’ose se risquer à informer le Juge, tout le monde redoute sa colère. Le jeune Handel franchit le seuil, pénètre dans le vestibule, tandis qu’une foule d’yeux le regardent avec un mélange de curiosité et d’effroi.

— Est-ce que mon père est encore au Conseil ? demande-t-il.

— Il se trouve maintenant avec les conseillers dans la salle du bord de l’eau, — lui répond l’un des portiers.

Henri redressa fièrement son élégante figure, comme s’il s’apprêtait à recueillir un hommage, et non un châtiment. De sa main gauche, dont il avait retiré le gantelet doré, afin de ne pas risquer de blesser l’enfant délicate, il étreignit la garde de son épée ; et rapidement il se dirigea vers la salle du bord de l’eau, pour aller se livrer à ce père devant qui tout le monde tremblait.

Le roman s’achève sur ce coup de théâtre. Bientôt, sans doute, Mlle de Handel-Mazzetti nous racontera les péripéties de la lutte tragique qui ne peut manquer de s’engager entre le père et le fils[1] ; mais dès maintenant sa Stephana Schwertner mérite d’être signalée comme l’une des œuvres les plus remarquables de la littérature allemande contemporaine, avec des qualités d’équilibre harmonieux dans la composition, de forte et expressive précision dans le style, qui suffiraient à elles seules pour la mettre bien au-dessus des deux célèbres romans précédens de l’auteur.


T. DE WYZEWA.

  1. Peut-être n’a-t-on pas oublié qu’un conflit tout semblable devait faire le sujet du dernier roman de R. L. Stevenson, cet admirable Weir of Hermiston, — malheureusement inachevé, — dont j’ai autrefois rendu compte ici (Revue du 1er juillet 1896), et dont M. Albert Bordeaux vient de nous offrir une excellente traduction ?