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le frère Albert au contact de sa petite pénitente, nous l’éprouvons irrésistiblement, nous aussi, chaque fois qu’il plaît à l’auteur de ramener en scène la délicieuse enfant, avec son mélange tout particulier de dévotion enthousiaste et de naïve gaîté. Mais encore convient-il que j’indique brièvement au lecteur français le rôle assigné par Mlle de Handel-Mazzetti à son héroïne, dans ce beau roman dont l’intrigue, très simple à la fois et très émouvante, s’accompagne d’une admirable peinture des mœurs bourgeoises et populaires styriennes au début du XVIIe siècle.


Le bruit ayant couru qu’un ou deux cas de peste avaient été constatés sur la frontière du Tyrol, Joachim Handel a profité de l’occasion pour fermer, — toujours sous prétexte d’hygiène, naturellement, — la dernière église qu’il n’avait pu enlever jusque-là aux catholiques de Steyer, comme aussi pour interdire de la façon la plus rigoureuse un pèlerinage organisé par le frère Albert et par Stephana, précisément afin d’obtenir de la Vierge qu’elle daignât épargner à la ville l’atteinte du fléau. Dénoncés traîtreusement au Juge par l’ancien moine apostat, les pèlerins ont été arrêtés, après une véritable bataille où Stephana Schwertner, pour sauver la vie de son confesseur, avait brisé de ses robustes mains de paysanne l’épée du jeune lieutenant Henri Handel. En punition de quoi le Juge de Steyer a condamné Stephana à rester exposée pendant plusieurs heures sur la place du Marché ; et c’est à son fils qu’il a confié le soin de présider à l’exécution de la dure sentence. Mais le cœur généreux du jeune lieutenant s’est ému de pitié au spectacle des larmes de l’enfant ; si bien qu’au bout de la première heure le jeune homme, la voyant évanouie, n’a pu s’empêcher de courir à elle, l’a saisie dans ses bras, et l’a rapportée auprès de sa mère.


Puis il s’éloigna tranquillement, d’un pas ferme et guerrier. Il avait fait la chose, et se sentait bien résolu à en supporter les conséquences. Grand dommage seulement, en vérité, que cette sentence qu’il avait dû rompre eût été celle de son père ! Mais quant à lui, force lui avait été d’agir comme il l’avait fait ; et jamais assurément il ne songerait à s’en repentir. Sans compter que son père n’avait pas vu l’enfant, tout à l’heure, debout auprès de l’ignoble poteau, il ne l’avait pas vue pendant que sa lourde chaîne lui déchirait les chairs, et que ces femmes sans cœur, ces venimeuses vipères, s’empressaient à la mordre !...

Il se retourna vivement vers l’endroit où il l’avait laissée, comme s’il doutait encore de l’avoir mise en sûreté. Mais aussitôt il aperçut en pleine lumière deux figures assises sur un banc de jardin ; il reconnut le fichu