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certain souci apparent de la légalité. Et voici que, depuis quelques jours, un autre affront plus cruel encore a été infligé aux catholiques de Steyer ! Joachim Handel a recueilli auprès de lui, ou du moins installé dans la ville et pourvu de fonctions officielles un apostat, devenu pasteur luthérien après s’être naguère enfui de la vénérable abbaye de Garsten, aux portes de Steyer, où longtemps il avait vécu sous l’habit religieux ! Cette fois la mesure est comble. Dans le pieux élan de son indignation, le vieil abbé de Garsten, — trop malade pour pouvoir se rendre à l’Hôtel de Ville, — a prié le juge de venir le voir au monastère, afin de recevoir de sa bouche « une plainte concernant au plus haut point l’intérêt public de Steyer. »

Le fait est que le saint vieillard agonise, dans sa cellule. Autour de lui s’empressent son prieur, qui bientôt sans doute va se trouver appelé à lui succéder, et le jeune frère Albert, véritable enfant spirituel du mourant, le seul de tous ses moines qui, avec une éloquence égale à son intrépide courage, ait osé tenir tête au persécuteur de la foi.


Le vieil abbé mourant se tient assis dans un misérable fauteuil délabré, l’état de son cœur ne lui permettant pas de reposer dans un lit. Ses membres, autrefois d’une vigueur gigantesque, mais brisés à présent par la maladie, sont recouverts d’un habit rapiécé. Ses cheveux blancs trempés de sueur se collent à son front, profondément creusé ; ses yeux éteints, à demi fermés, semblent regarder fixement par la fenêtre la campagne grise, toute noyée de brume ; et ses lèvres bleuies se meuvent sans arrêt, comme s’il priait ou bien s’entretenait avec soi-même...

Un bruit lointain de sabots de chevaux parvint dans la vaste cellule aux murs dégarnis ; et l’on entendit retentir faiblement la cloche de la porte d’entrée.

Deus in adjutorium ! murmura le prieur, avec un signe de croix.

Puis il rabattit son capuchon sur ses oreilles, et s’élança au dehors. Dans le corridor, des novices accouraient au-devant de lui, tout effarés :

— Voilà le Juge de Steyer avec son fils, le lieutenant de la ville !

Dans la cellule de l’abbé, c’est maintenant un homme solide et dispos qui se dresse fièrement sur son siège, affermissant une dernière fois, sous son habit, les membres paralysés par la longue souffrance. Il a vivement écarté l’un des frères qui, la mine blême d’angoisse et de peur, lui offrait un verre d’élixir ; mais au frère Albert, qui passait sans bruit en priant et se hâtait de cacher un reliquaire vénéré, pour le mettre à l’abri des yeux de l’hérétique, le vieillard a dit, impérieusement :

— Mon fils, reste près de moi ! Et puis, lorsque tu verras que les forces m’abandonnent, prends la parole à ma place ! Il faudra qu’à nous deux nous vainquions Satan !

Déjà du corridor s’élève un bruit d’armes, que dominent deux voix nettes et sonores.

— C’est Handel ! dit l’abbé d’un accent irrité. Et l’autre voix, je la