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avancé puisque, débutant au théâtre il y a vingt ans, M. Brieux y faisait représenter Blanchette et que, vingt ans après, il fait jouer la Femme seule qui est comme une transposition, ou une réplique, de Blanchette. Au lieu d’une boutique de cabaretier, nous sommes dans un intérieur de bourgeoisie. Chez M. et Mme Guéret on joue Barberine. Ce décor de fête est pour encadrer la nouvelle d’un désastre. Les Guéret sont complètement ruinés, et une orpheline qu’ils avaient recueillie, Thérèse, est frappée par le même coup. Cette jeune fille nous a été présentée comme un type de la jeune fille moderne. Instruite, active, laborieuse, elle a une franchise d’allures et une liberté de langage qui scandalisent parfaitement les bourgeois ancien style que sont les Guéret, Avertie par le notaire, elle connaissait la ruine de toute la famille, ce qui ne l’empêchait pas d’être la plus sémillante et la plus gaie des Barberine. Son parrain et sa marraine lui offrent de l’emmener avec eux en province, où ils vivront auprès d’un de leurs parens, M. Féliat, industriel, qui leur confiera la direction d’un atelier de reliure. Mais s’enterrer en province, en compagnie de protecteurs maussades, ne lui dit rien qui vaille. Nous sommes au XXe siècle, dans un temps d’individualisme et de féminisme : c’est pour s’en servir. Thérèse décide de venir à Paris chercher fortune, ou, du moins, chercher sa vie.

Elle s’adresse d’abord à un journal rédigé par des femmes, la Femme libre. L’auteur a décrit ce milieu pittoresque de façon curieuse et peu engageante. Je doute qu’il inspirée à beaucoup de ses spectatrices le goût de faire carrière dans la littérature féministe. Une certaine Caroline Legrand, qui fait dans le bureau de rédaction une entrée tumultueuse, énonce d’une voix de virago que, pour être une vraie féministe, il faut être vieille et laide, sans quoi on a trop d’occasions de manquer à son programme. Thérèse va en faire l’expérience. Ce journal de femmes est dirigé et exploité par un homme. M. Néris, dans un langage d’un parfait cynisme, déclare à la jeune fille qu’elle n’a le choix qu’entre deux partis : ou devenir sa maîtresse, ou quitter le journal. C’est la scène capitale de l’acte. A ces propositions sans vergogne, la jeune fille répond avec une juste indignation, et c’est au nom de toutes les pauvres filles, placées ainsi entre la misère et la honte, qu’elle proteste, dans un beau mouvement d’éloquence élargie, contre le bas égoïsme et la cruelle sensualité du sexe masculin.

Cette tentative d’émancipation, qui vient de lui si mal réussir dans le monde bourgeois, Thérèse va la renouveler dans le monde ouvrier. C’est le sujet du troisième acte, le plus original de la pièce. Thérèse a