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étapes nous sommes arrivés à cette débauche de spectacle et à ce délire de mise en scène, il y en aurait long à dire. Cela mériterait toute une étude. Je me borne à signaler un ou deux faits, à titre d’indications. — Le premier est le progrès des moyens matériels. La machinerie se perfectionne tous les jours. Les jeux de lumière surtout prêtent à des effets merveilleux. On en use et on en abuse. Dès que la toile se lève, la salle est plongée dans une obscurité complète : c’est, me dit-on, l’influence des représentations de Wagner. Cependant sur la scène les personnages s’agitent dans une pénombre lumineuse, parmi des brouillards de toutes les couleurs. On a parfaitement la sensation que tout cela se passe en rêve. Les yeux et l’esprit sont noyés dans une brume éminemment artiste. — Un autre fait est l’augmentation du nombre des spectateurs, coïncidant avec les perfectionnemens du spectacle. Parce que chaque pièce, pour être montée à la manière et avec le luxe d’aujourd’hui, exige des frais considérables, il est indispensable qu’elle ait un grand nombre de représentations : il ne lui suffit plus d’un public, il lui faut une foule. Cette foule est en partie cosmopolite. Quand on prête l’oreille aux réflexions qui sont faites dans les entr’actes, on devine tout ce qu’on perd à ne pas être polyglotte. Il en résulte que les pièces ne doivent pas exiger un trop grand effort d’esprit pour être accessibles à cette foule bigarrée où plusieurs ne suivent qu’avec peine le dialogue français. Beaucoup même de ces pièces sont elles-mêmes cosmopolites. Elles ont « fait » les capitales du monde avant la nôtre. Elles retiennent quelque chose de berlinois, de viennois, d’anglais ou d’américain. C’est l’importation étrangère qui nous envahit ici comme ailleurs. Ce sont des pièces pour clientèle de Palace-hôtels. — Cette subordination de la pièce au spectacle, cet étalage de beautés confuses et de merveilles éblouissantes, est en contradiction avec les habitudes de notre théâtre, qui est mesure, clarté, mouvement, action, observation, fantaisie, esprit. Je souhaite de toutes mes forces et j’espère une réaction qui nous débarrassera de cet envahissement d’un luxe parasite, et rétablira dans ses droits l’auteur dramatique, aujourd’hui dépossédé par le machiniste,. l’accessoiriste, le costumier, le décorateur, le metteur en scène, l’électricien, et tous ceux, artistes, artisans et ouvriers, dont les efforts combinés tendent à la suppression de ce qui se dit, au profit de ce qui se voit.

M. Guitry, qui est un si puissant acteur de comédie et qui, dans des rôles faits à sa taille, exerce sur le public une action incontestable, n’a rien de ce qui constitue l’acteur de féerie. Il a été parfaitement détestable dans le rôle du mendiant Haji, et je le dis à son éloge. Auprès de