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admirer l’un son costume bleu, l’autre son costume vert, jaune, orangé, ou de quelque nuance que ce soit de l’arc-en-ciel. En sorte que, lorsqu’on ferme les yeux et qu’on songe à Kismet, ce qui s’évoque d’abord, c’est cette procession bariolée et silencieuse, cette série mouvante de costumes qui vont...

Ensuite le tableau du souk. A mesure qu’il se découvre, c’est dans le public un « ah ! » de surprise et de contentement. Ce qui m’a surtout frappé, c’est l’art avec lequel on a su produire une impression de profondeur et d’immensité. Je m’excuse d’ailleurs de l’insuffisance qu’aura nécessairement ce compte rendu : plutôt qu’un critique de théâtre, il y faudrait un critique d’art, un écrivain pour qui le monde extérieur existe, comme disait Théophile Gautier, qui certainement aurait pris à de tels spectacles un plaisir extrême et l’aurait fait goûter à ses lecteurs. Toujours est-il que le grouillement de peuple m’a paru on ne peut mieux imité. Marchands, passans, mendians, tout cela s’agite dans un brouhaha parfaitement réglé. On perçoit des sons gutturaux, qui d’ailleurs n’offrent aucun sens, car il est à noter que, quand on parle dans cette pièce, c’est le plus souvent par onomatopées empruntées à un idiome que nous ne comprenons pas. Tout à l’heure, le devant de la scène sera occupé par un chanteur et une chanteuse hindous qui, en s’accompagnant sur des luths de là-bas, moduleront des complaintes lentes, lentes, infiniment lentes. Au tableau du souk, un long et magnifique cortège traverse la scène. Est-ce le calife, ou n’est-ce pas plutôt le wazir ? Car ne dites plus « vizir » qui manque déplorablement de couleur locale, mais « wazir, » qui tout de suite impressionne par une saveur d’authenticité... Et tout cela pour nous apprendre que le mendiant Haji, ayant reçu une bourse d’or, est venu s’acheter des habits, mais que, l’habitude étant la plus forte, au lieu de les acheter, il les a volés.

Un repos au milieu de ces splendeurs : c’est la chambre où Marsinah, la fille d’Haji, reçoit son amoureux, qu’elle croit être le fils de leur voisin le jardinier, et qui est le calife en personne.

Et l’éblouissement recommence. Nous voici dans le palais du wazir Mansour. Il y a des colonnes, des moucharabiehs, des bassins, des jets d’eau, des portiques, que sais-je encore ? tout ce que les guides vantent dans l’architecture mauresque. On songea l’Alhambra et on trouve que cela dispense du voyage. De telles richesses n’ont pas pour habitude d’être acquises honnêtement. Le wazir Mansour est une abominable canaille, qui en outre manque de tact ; si bien que, pour le punir d’avoir eu la main lourde, le calife va lui faire couper la tête.