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apprenons à vivre, c’est la solitude qui nous enseigne à mourir. » Dans plusieurs de ses dernières lettres, le poète nous parle de son jardin, et surtout de l’arbre qui lui fut cher, le laurier dont le feuillage l’avait couronné au Capitole et dont le nom lui rappelait l’amante inoubliée. Symbole de l’amour et de la gloire — qu’il poursuivit plus que l’amour — il chanta jusqu’à la fin le charme


Del dolce lauro e sua vista fiorita.


La légende prétend que tous les lauriers gelèrent au cours du rude hiver qui suivit la mort de Pétrarque ; ceux de son jardin ne durent pas être épargnés. Pourtant, il n’y a rien d’impossible à ce que celui qui pousse encore contre le mur de la maison soit un lointain rejeton d’un de ceux qu’il planta. Et cette idée me fait un moment hésiter à prendre la branche qui m’est offerte... O poète, je n’ai d’autre titre à cet hommage que ma pieuse admiration pour toi ; mais je sais bien que tu ne blâmerais point un geste que dicta l’amour...

Un étroit escalier monte à une petite loggia soutenue par trois colonnes. Tout est exigu dans le jardin et la maison, ainsi qu’il le fallait pour le vieillard ayant constamment besoin d’un appui à la portée de la main. L’amant de la solitude n’avait pas hésité entre le palais que lui offrait Venise, en échange du don de ses livres, et le calme asile que lui proposa François de Carrare dans les monts Euganéens. « Oh ! scrit-il à un de ses amis de Parme, si tu pouvais voir mon nouvel Hélicon, je suis sûr que tu ne voudrais plus le quitter. » La maison, très simple, com- prend un vestibule d’entrée autour duquel sont les chambres ; presque toutes ont des balcons d’où l’on embrasse soit les collines étagées s’abritant l’une l’autre contre le soleil ou les vents, soit, par-dessus les toits du village, la vaste plaine vénitienne jusqu’à l’Adriatique.

La demeure où vécut un écrivain parle toujours à notre sensibilité, surtout quand elle est dans un village et mieux encore au milieu des champs. C’est que la nature ne change guère et qu’après plusieurs siècles, nous retrouvons les mêmes montagnes, les mêmes fleuves, les mêmes forêts, les mêmes prairies. Peu d’années, au contraire, suffisent à altérer l’aspect