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sur nos âmes avides de beauté que nous sommes heureux de pouvoir retrouver quelques-uns de ses aspects dans les coins de France qui nous sont les plus chers !

Avant Arquà, on traverse une petite plaine marécageuse qui fut sans doute le fond d’un lac desséché. Des bœufs blancs, attelés par six, huit et même dix paires, comme j’en vis aux environs de Ferrare, labourent profondément une terre grasse qui jaillit, d’un noir intense, sous le soc de la charrue. Et le contraste est violent entre ce sol couleur d’encre et le feuillage des saules qui bordent le chemin. Puis les monts bleus se rapprochent. La route s’élève dans un cirque ensoleillé, au milieu de riches végétations. Les vignes luxuriantes se mêlent aux figuiers, véritables arbres aux fruits renommés. Des oliviers mettent leur note claire. Dans les jardins, les lauriers, les magnoliers, les camélias et les grenadiers poussent en pleine terre, drus et vigoureux. Autour du mont Ventolone, qui abrite le site des vents froids, les collines s’évasent en forme d’arc : peut-être est-ce l’origine du nom d’Arquà. La montée est si rude que je descends de voiture, à côté de la fontaine que Pétrarque fit construire, ainsi que l’indique l’inscription :


Fonti Numen adest ; lymphas, plus hospes, adora
Unde bibens cecinit digna Petrarcha Deo.


Le village, sur la hauteur, ne possède aucune source et, aujourd’hui encore, c’est la seule fontaine qui l’alimente. Les paysannes viennent y puiser l’eau dans des seaux de toutes formes qu’elles portent suspendus aux deux extrémités d’un grand arc posé sur leurs épaules, suivant un antique usage qu’on retrouve à peu près partout en Italie.

J’avoue que ce n’est pas sans émotion que je pénètre dans le village du poète ; mais je ne croyais point être si vite près de lui. A peine ai-je fait quelques pas que je me trouve face à face avec le tombeau d’où sa dépouille mortelle n’a pas bougé, depuis le jour où son gendre, Francesco di Brossano, l’y enferma, six ans après sa mort. Qu’elle est saisissante cette place, devant la plate et pauvre façade de l’église, avec ce simple sarcophage de marbre rouge posé sur quatre colonnes ! Du rebord de la terrasse, la vue s’étend sur les maisons du village et sur la campagne. D’un jardin en contre-bas, jaillissent deux énormes cyprès qui, immobiles et muets, veillent sur le cercueil. Au-dessous