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VII. — ARQUA

Si je n’étais depuis longtemps habitué aux vetturini italiens, je ne me serais jamais embarqué, à Este, dans l’étrange landau qui doit sortir du musée d’antiquités. Je sais aussi que ces chevaux étiques, qui semblent déjà las au départ, finissent par couvrir de longues étapes ; mais vraiment aujourd’hui, mon cocher exagère. Nous allons au pas quand la route monte, ce qui est naturel ; au pas quand elle est plate, pour faire souffler le cheval ; au pas encore quand elle descend, pour que celui-ci ne glisse pas ! Mais j’en prends vite mon parti. D’abord, je le reconnais, le chemin est mauvais et souvent taillé d’une façon assez primitive dans le roc. Et puis, la journée s’annonce si belle, l’air est si lumineux et si pur, le soleil si léger, que je n’ai plus aucune hâte d’arriver. Une fois encore, je goûte ces heures d’Italie où, libre de soucis, et loin des voies trop fréquentées, je n’ai qu’à jouir de la vie. Tout rit autour de moi, la campagne fertile, les pampres dorés, les gens au seuil des fermes, les enfans qui jouent dans les fossés. En parcourant un guide local, je lis une page de Luigi Cornaro qui déjà, au XVe siècle, célébrait la joie de cette contrée qu’il appelle le pays dell’ allegrezza e del riso.

A Baone, la route fait un grand détour et offre une vue splendide sur Este ; puis, au croisement du chemin de Monselice, elle vire brusquement vers le Nord et se dirige droit sur Arquà dont on commence à distinguer les maisons. Un vieux clocher se détache sur le ciel, dans un nid de verdure. Au-dessus se dresse le cercle des collines Euganéennes, tantôt arrondies comme les ballons des Vosges, tantôt pointues et aussi régulières que des pyramides. Quelques cônes tronqués rappellent les pics du Massif Central et m’expliquent la comparaison qui vint naturellement à l’esprit de M. Pierre de Nolhac quand il fit ce même pèlerinage :


Ma Limagne courbe des lignes
Pareilles sur ses horizons ;
Les collines sont moins insignes,
Mais elle y mêle aussi les vignes
Et les profondes frondaisons...


Étrange et puissant sortilège de l’Italie dont la prise est si forte