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simplicité ; cette abondance ornementale ne va pas sans un peu de mauvais goût. Dans un bosquet de charmille et de buis, un labyrinthe enroule le dédale de ses courbes trompeuses autour d’une tourelle que domine la figure d’un guerrier. Ces jeux combinés par des jardiniers ingénieux étaient l’amusement favori des dames et des sigisbées, au temps des paniers et des gilets fleuris. J’ai poussé la grille rouillée qui ferme l’entrée, entre deux pilastres portant des amours à cheval sur des dauphins de pierre. Et j’ai pris plaisir à m’égarer dans les fausses allées où G. d’Annunzio imagina le jeu cruel de Stelio Efîrena.


V. — MONSELICE

Après Strà et Ponte di Brenta, où l’on traverse la rivière limoneuse, commence la riche campagne padouane. La route est ombragée d’une double rangée de hauts platanes dont les feuillages roux luisent au soleil. Des effluves parfumés flottent dans l’air léger. Des roses rouges pendent le long des murs. Jamais je n’ai mieux senti la déchirante douceur de l’automne, et des vers de Le Cardonnel me viennent aux lèvres :


Dans sa limpidité la lumière d’octobre,
S’épandant de l’azur, emplit l’air allégé :
Elle baigne d’un or harmonieux et sobre
Les champs où l’on a vendangé.


Vraiment, ces environs de Padoue sont délicieux. « Si l’on n’avait pas la certitude, disait l’empereur Constantin Paléologue, que le Paradis terrestre fût en Asie, je croirais qu’il n’a pu être que dans le territoire de Padoue. » Ce qui me frappe, c’est combien, à quelques lieues de Venise, toutes choses ont un autre aspect. Ni le climat, ni le paysage, ni le ciel, ni les habitans ne sont pareils. La lumière surtout est très différente ; elle n’est pas brumeuse et colorée, comme sûr la lagune, mais aiguë et vive. Les formes se dessinent nettement, accusant leurs reliefs. Les lignes des collines Euganéennes, si molles et si floues, quand on les regarde de Venise, ont ici une précision presque trop dure à l’œil. Et je saisis, rien qu’à marcher sur cette route, pourquoi la vision des peintres padouans est si dissemblable de celle des Vénitiens parmi lesquels, si longtemps, on a voulu les ranger. L’école de Padoue est bien plus voisine de Florence, d’où