Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/427

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nous quitter, nous nous reportons en arrière pour savourer amèrement les joies éprouvées en commun, qui nous paraissent plus belles encore d’être mortes à jamais.

De nombreuses statues peuplent ces rives. C’est à peine si l’ardente imagination d’Annunzio les a multipliées dans une page du Feu où il en voit partout, dans la campagne, dans les vergers, dans les vignes, parmi les choux argentés, parmi les légumes, au milieu des pâturages, sur les tas de fumier et de marc de raisin, sous les meules de paille, au seuil des chaumières. Il les dépeint « blanches encore, ou grises, ou jaunes de lichens, ou verdies par les mousses, ou bigarrées de taches, et dans toutes les attitudes, et faisant tous les gestes, Déesses, Héros, Nymphes, Saisons, Heures, avec leurs arcs, avec leurs flèches, avec leurs guirlandes, avec leurs torches, avec tous les emblèmes de la puissance, de la richesse et du plaisir, exilées des fontaines, des grottes, des labyrinthes, des berceaux, des portiques, amies du buis et du myrte toujours verts, protectrices des amours fugitives, témoins des sermens éternels, figures d’un rêve beaucoup plus ancien que les mains qui les avaient formées et que les yeux qui les avaient contemplées dans les jardins détruits. »

Quel changement en un siècle ! Quelle ironie dans ces vastes avenues où nul ne passe, dans ces salles de fête où l’on ne danse plus ! Comme ils sont larges, les perrons accueillans ! Pax intrantibus, lit-on encore sur une façade, en approchant de Mira, où, d’ailleurs, les villas ont été en général mieux conservées. Deux d’entre elles méritent même une visite, au moins pour les souvenirs qu’elles gardent.

C’est d’abord la villa que fit construire Frédéric Contarini, procurateur de Saint-Marc. On l’appelle souvent le Palais des Lions, parce qu’au bord de la route ombragée de platanes, deux lions de pierre défendent son seuil. Henri III y fit un second et dernier arrêt sur les rives de la Brenta. Une inscription rappelle l’événement et caractérise d’une formule heureuse l’accueil unanime qu’il reçut : tota fere Italia comitante. Des fresques de Tiepolo, qui sont aujourd’hui dans la collection André, décoraient le salon ; elles avaient été commandées au peintre par les Pisani, héritiers des Contarini. La principale commémorait la visite du roi de France ; mais le peintre n’avait guère eu souci d’exactitude. Pour le portrait du Valois, on comprend qu’il se soit borné à copier celui de Vicentino ; pour le