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royal s’engagea sur la Brenta et s’arrêta au palais Foscari où un diner était préparé. Le dernier des Valois admira, nous disent les chroniqueurs, la loggia, le double escalier qui y donne accès et les épais bosquets qui entouraient la villa... Hélas ! comme le reste, les bosquets ont disparu. Le parc de l’ancien domaine a fait place à des champs et à des fermes de rapport. Plus de jardins ni de charmilles. Le palais lui-même n’est plus qu’une dépendance de la grange voisine. Seul, l’extérieur du bâtiment est resté à peu près indemne. Les hautes murailles, que la belle colonnade de la façade rend pareilles à un temple antique, semblent avoir honte d’être encore si nobles pour ne plus abriter qu’un atelier et des greniers ; l’impression de tristesse et de mort serait, je crois, moins forte, si leurs lignes, à demi effacées sous les mousses et les végétations, ne se découpaient pas aussi nettes sur le ciel, si leur silhouette s’était faite imprécise et vague, comme l’image renversée que renvoie l’eau trouble de la rivière.


III. — MIRA

Après Malcontenta et jusqu’aux abords de Mira, la plupart des villas sont en ruines ou ne servent guère, comme la Foscari, que d’entrepôts agricoles. Ce ne doit pas coûter cher d’avoir un palais sur la Brenta ! Autour des bâtimens, les jardins subsistent encore, avec leurs allées de hauts buis et d’arbres centenaires dont les essences rares témoignent de la splendeur passée. Sur les gazons mal entretenus ou transformés en potagers, s’élèvent des statues mutilées et des colonnes surmontées de vases à moitié effrités. Des socles branlans portent des corbeilles de fruits sculptés où le soleil met des reflets luisans. Maîtresses des lieux, les mousses, les vignes vierges et les tiges flexibles du lierre ont enlacé les marbres à leur fantaisie. L’abandon et la vieillesse, si lamentables pour les demeures, donnent à ces jardins je ne sais quelle grâce prenante que nous goûtons profondément ; plus qu’à la patine du temps et à la majesté des ombrages grandis, nous sommes sensibles à leur mort commençante. Nous les connaissons au moment où la vétusté les pare d’une séduction souveraine. Leur délabrement nous les rend plus chers. Nous les regardons avec tendresse, comme, au chevet d’un ami qui va