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arbres de soie, des orangers, des figuiers et de la douceur de l’air ; » il est vrai qu’il revenait des « sapinières de la Germanie et des montagnes tchèques où le soleil a mauvais visage. »

La décadence a continué. Quand, après avoir dépassé les murs roses de San-Giorgio-in-Alga, où une petite madone de marbre veille sur la lagune, le bateau m’a débarqué sur les rivages de la plate et marécageuse Fusina, en proie aux moustiques et aux fièvres, j’ai éprouvé une impression de mortel ennui. C’était jadis un village important. De vastes puits y étaient creusés d’où l’on tirait l’eau potable que des chalands, spécialement aménagés à cet effet, allaient chaque jour porter à Venise. Une curieuse machine, le carro, faisait, à l’aide de poulies et de cordages, franchir aux embarcations la barre qui fermait l’embouchure de la Brenta, avant que son cours eût été en partie détourné vers le sud. Aujourd’hui, il n’y a plus que le bâtiment de la douane, la petite gare du tramway électrique et quelques misérables maisons à demi enfouies dans la vase. C’est triste à pleurer. Où est la vieille Fusina, dont les voyageurs célébraient la grâce, entre la lagune et les étangs, au milieu des verdures et des fleurs, tout entourée de roseaux, de nénuphars et de lis d’eau ? De chaque côté du fleuve et de la route qui le longe, je ne vois que des champs mornes et sans caractère qu’envahit une immense décomposition végétale. Par ce matin d’automne, la plaine basse, presque liquide et toute fumante de la pourriture des plantes, semble un vaste marais mal desséché. De petites flaques miroitent au soleil. Mais, assez vite, l’aspect change. Quelques fermes mettent un peu d’animation au bord du chemin. Des bateaux glissent sur le canal, traînés par des chevaux ou menés à la rame ; d’autres sont amarrés aux berges, chargés de fruits aux couleurs vives et de raisins mûrs. Dans les prés, des vignes flexibles courent en guirlandes, d’un pioppo à l’autre, ondulant au vent comme des hamacs de pourpre et d’or. Des maisons aux murs d’un jaune éclatant se reflètent dans le miroir terni de la rivière qui s’émeut à peine au passage des barques.

Jadis ces eaux étaient courantes quand la Brenta suivait son cours naturel et se jetait à Fusina. Mais du jour où Venise eut soumis Padoue, son souci constant fut de détourner le fleuve, qui ensablait la lagune, au moyen de canaux qui emportent