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les consciences de continuer à hacher la langue en lanières duodécasyllabiques avec un calembour en grelot ; ce jeu, simplement, se faisant insupportable. » Et cependant Verlaine a pratiqué la rime jusqu’à sa mort et M. Vielé-Griffin a pratiqué, souvent, au moins l’assonance.


Car tu sauras les rêves vastes
Si tu sais l’unique loi,
Il n’est pas de nuit sous les astres
Et toute l’ombre est en toi.


Au fond, les symbolistes ont détesté la rime et l’ont pratiquée. Ils l’ont traitée comme une maîtresse bête dont on ne peut pas se passer. Pourquoi ? Parce qu’ils ont senti qu’ils voulaient créer et qu’ils créaient quelque chose d’intermédiaire entre les vers et la prose, et en cela, ils ne se sont pas du tout trompés. Mais ils ont cru que ce qui empêcherait ce qu’ils créaient d’être purement de la prose, ce serait le maintien d’un minimum de rime. Là fut leur erreur. Ce qui distingue, et presque pour le moins lettré, la prose rythmée de la prose, c’est le rythme lui-même, tout à fait indépendamment de la rime. Personne n’estimera jamais que Bossuet se sert du même instrument, — sans parler aucunement du style, — que La Bruyère ; et que Chateaubriand se sert du même instrument que Mérimée. Tout le monde estimera que Bossuet et Chateaubriand sont des musiciens, et que La Bruyère et Mérimée ne le sont pas.

Par insuffisance d’oreille musicale (la plupart) et par maintien très malavisé de la rime, les « symbolistes » ont subi au moins un demi-échec.

Je m’étonne que M. Barre, qui a tant tenu à être complet, n’ait pas tenu compte de deux grands poètes qui, sans être » symbolistes, » ont avoisiné le « symbolisme, » ou qui, si vous voulez, en se croyant les ennemis du symbolisme et en se déclarant tels, ont été beaucoup plus symbolistes qu’ils ne l’ont cru. Je veux parler de Sully Prudhomme et de M. Haraucourt. Ils n’ont pas été symbolistes, certes, par la forme, et par les procédés de versification ; mais l’âme symboliste était en eux pour ainsi dire, en ce sens qu’ils avaient le culte et le goût de la poésie philosophique et qu’ils avaient le culte et le goût du symbole lui-même. Je n’ai pas besoin de rappeler le Vase brisé et la Voie lactée de Sully Prudhomme et la Citadelle de M. Haraucourt. Autant