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de La Fontaine dans ses Fables et de Molière dans Amphitryon, rythme continuellement renouvelé par l’admission de tous les rythmes consacrés et le passage libre de l’un à l’autre ? Je dirai qu’on a abusé singulièrement de cet exemple et de cet argument et que c’est presque une plaisanterie. Le rythme des Fables et de l’Amphitryon n’est pas si continuellement renouvelé qu’on veut bien le dire et en vérité il ne l’est guère. Il consiste presque toujours à passer de l’alexandrin au vers de huit syllabes, c’est-à-dire à faire appel successivement aux deux rythmes consacrés les plus consacrés et les plus familiers à l’oreille française. Le surplus, ou rentre tout à fait dans ces exceptions pour produire un effet dont j’ai parlé plus haut, ou n’est, — chose très habile, — que l’intervention de la prose dans les vers soit pour détendre la rigidité des vers continus, soit, — encore exception, — pour produire un effet, pour marquer à un moment donné le prosaïsme de la pensée ou de l’objet. Exemple d’un rythme exceptionnel pour produire un effet :


Mais qu’en sort-il souvent ?

Du vent.
……………………..
Même il m’est arrivé quelquefois de manger

Le berger.


Exemples de l’intervention de la prose pour marquer le prosaïsme de la pensée ou de l’objet :


Va, Sosie, et dépêche-toi.

Voir, dans les doux transports dont mon âme est charmée,
Ce que tu trouveras d’officiers de l’armée
Et les invite à dîner avec moi.
Tandis que d’ici je le chasse

Mercure y remplira sa place.


Pure prose, intentionnellement, puisque ces paroles de Jupiter sont paroles, simplement, de maitre donnant une com- mission à un valet et prenant des dispositions d’ordre intérieur. Donc, — vérifiez, — sauf exceptions, rares et dont j’ai donné les raisons, le rythme constamment renouvelé de La Fontaine dans ses Fables et de Molière dans Amphitryon n’est pas du tout un rythme continuellement renouvelé ; il est un rythme consistant dans l’emploi successif de deux rythmes très consacrés et dans le passage, très savant, de l’un à l’autre, rien de plus. Il y a une