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et ainsi de suite et toujours, voilà évidemment la vérité. On ne peut disconvenir que ce ne fût assez juste en soi.

En conséquence, n’hésitons pas sur les mots, ils ont renoncé au vers et ont tous écrit en prose rythmique. Ne nous y trompons pas en effet. Le vers est une phrase mélodique fixée, traditionnelle, invariable, à laquelle l’oreille d’un peuple est habituée ; c’est un moule rythmique dans lequel le poète jette sa pensée et sa phrase, d’où il suit qu’il n’invente pas son rythme en conformité avec sa pensée, mais qu’il reçoit son rythme et qu’il y conforme sa pensée. Donc si vous voulez créer un rythme qui soit conforme à votre pensée et qui se transforme avec elle, vous ne pouvez qu’écrire en prose, en prose rythmée, évidemment, mais en prose.

Restriction à ce qui précède : le vers, quoique rythme fixé, ne laisse pas d’être plastique ; il n’a jamais, par exemple, que douze syllabes ; mais il y a cinq ou six ou huit ou dix façons de disposer ces douze syllabes, de les distribuer par groupes et d’opposer ces groupes les uns aux autres ; il y a aussi bien des façons, et plus de huit ou dix, de se servir tantôt de syllabes sèches et tantôt de syllabes étoffées, tantôt de syllabes sonores, tantôt de syllabes sourdes, de telle sorte que, dans le même rythme général, les vers donnent des sensations mélodiques extrêmement variées, et c’est ainsi qu’un grand versificateur comme Racine ou Victor Hugo, dans le rythme consacré, crée son rythme original et, dans le rythme fixe, son rythme varié.

Il est vrai ; mais moins vrai qu’on ne croit. Dans le rythme consacré, le rythme original fait toujours figure d’une exception pour produire un effet et par conséquent ne peut être effectivement qu’exceptionnel. Cela est si vrai que, quand le rythme original est continuel (Albertus de Gautier), il fait simplement figure de prose. Pour que dans le rythme consacré le rythme original se fasse sentir, il faut qu’il soit exceptionnel et par conséquent, dans le rythme consacré, ne parlons pas de rythme continuellement renouvelé, il ne saurait y trouver place. Le rythme original introduit dans le rythme traditionnel n’est qu’un expédient, soit simplement pour rompre la monotonie du rythme traditionnel, soit pour produire un effet particulier par la violation même du rythme consacré, violation qui attire l’attention du lecteur sur l’effet même que l’auteur veut produire.

— Mais que direz-vous du rythme continuellement renouvelé