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d’école le rôle d’émancipateur auquel il est providentiellement destiné : « Je me suis éclairé avec le siècle. J’ai trouvé justes et raisonnables les réclamations du Tiers-Etat... — LE DUC. Vous prétendez, sans doute, me régenter aussi. — LE MAÎTRE D’ECOLE. Je jure que vous pourrez apprendre quelque chose à mon école. Il n’est que trop clair qu’on a manqué votre éducation, puisqu’on vous a laissé ignorer que riches ou pauvres, seigneurs ou vassaux, nous étions tous frères ; que le mérite seul doit distinguer les hommes entre eux ; que la noblesse rendue héréditaire et vénale est un abus funeste à l’Etat ; que les citoyens que vous méprisez sont cependant ceux qui constituent essentiellement la nation, qui se passerait fort bien de vous, qui y gagnerait même, mais qui ne se passerait jamais d’eux. » Et le duc, illuminé, converti, de s’écrier : « Il est donc vrai que, si la noblesse est quelque cho.se, le peuple est tout. Se peut-il qu’il ne me soit jamais venu à l’idée que la classe la plus nombreuse était la plus forte et, par conséquent, celle qu’il fallait le plus ménager ?... La noblesse est encore bien heureuse que le peuple ne pousse pas plus loin ses prétentions, car enfin, s’il le voulait, il serait le plus fort. Les soldats sont tous du Tiers-Etat. Un grand nombre d’officiers sont aussi de cette classe, mais quand bien même tous les officiers seraient nobles, il y a des soldats très capables de les remplacer. Si le Tiers-Etat des villes voulait nous chasser, comment nous défendrions-nous contre un nombre d’ennemis si supérieur, et s’il nous coupait les vivres à tous comme on me fait à moi !... Ciel ! que deviendrions-nous ? Je serais donc obligé de fuir dans une terre étrangère !... »

Mais la harangue du maître d’école m’y fait songer. Est-il bien exact qu’il y ait, a cet endroit, dans l’histoire des idées sociales, la lacune que j’ai dite ? Ce discours, tel qu’il est, n’annonce-t-il pas la fameuse » Parabole » de Saint-Simon ? Ne lui ressemble-t-il pas au point que la Parabole puisse ne paraître que le répéter ? Et si tous deux disent ainsi la même chose, n’est-ce pas tout bonnement parce que, à la fin comme au commencement de la Révolution, après comme avant, et en 1819 comme en 1789, c’est toujours la même chose ?

Et pourtant non, ce n’est plus tout à fait la même chose. Tandis que les idées stationnent, et que la Révolution, dressant le peuple d’un seul bloc et le poussant d’un seul mouvement, est occupée ailleurs, les faits marchent, et peu à peu s’esquissent,