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chères aux Argentins ; des boîtes de cette délicieuse marmelade de coings que les Argentins nomment membrillo ; d’énormes et magnifiques pèches confites, qui venaient de Mendoza. Nous bavardâmes en attendant Mme Feldmann, qui ne tarda pas à venir, au bras de l’amiral : au lieu de se mettre au lit, comme elle en avait eu l’intention, elle avait craint le bruit et la chaleur, et elle s’était réfugiée dans un petit coin du pont d’en haut, pour y lire à son aise. Dès qu’elle eut pris place, les bouteilles détonèrent et le souper commença.

Quand on eut goûté les produits de l’Argentine, on se mit à en disserter ; et tout le monde les loua, non par courtoisie, mais sincèrement. Joyeux et fier de ces éloges, Vazquez nous en remercia, comme le font souvent les Américains lorsqu’ils sont satisfaits du bien qu’on dit de leur pays.

— Ce sont les plus belles pêches du monde, n’est-ce pas ? expliqua-t-il en espagnol. Eh bien ! voulez-vous savoir ce que gagne un de mes amis à les cultiver ? Le compte sera bientôt fait. Chaque pêcher de six ans produit en moyenne 600 pêches ; à raison de dix pêches par boîte, cela fait soixante boîtes par arbre. Mon ami vend la boite un demi-peso ; ce qui donne trente pesos de revenu brut par arbre. En plantant 300 pêchers par hectare, et ils y sont au large, on a donc un revenu brut de 9 000 pesos, c’est-à-dire un peu moins de 20 000 francs. Les frais de culture et de préparation en absorbent à peu près la moitié ; par conséquent, il reste par hectare un produit net de dix mille francs. Dix mille francs ! Il n’y a pas de culture au monde qui soit plus rémunératrice, ni l’alfalfa, ni le blé, ni le lin...

Ce discours électrisa l’avocat, qui s’empressa de corriger :

— A l’exception de l’olivier, toutefois, à l’exception de l’olivier !

Et il nous raconta que, dans la province de Mendoza, un hectare d’oliviers pouvait rapporter jusqu’à 13 000 francs. Vazquez confirma ce chiffre, y ajouta des renseignemens complémentaires ; ces renseignemens provoquèrent plusieurs questions ; les questions servirent de prétexte à Alverighi pour colorer de teintes nouvelles et vigoureuses le tableau de cette prodigieuse opulence argentine, que son ami avait commencé à peindre d’un pinceau plus sobre. Et ainsi, peu à peu, au milieu d’un caquetage où se mêlaient le français, l’italien, l’espagnol, nous vîmes, exposés devant nous par le philosophe italien devenu agriculteur et par l’agriculteur argentin demeuré tel qu’il était né, tous les trésors