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Au lieu de fournir l’explication demandée, j’adressai moi-même à Mme Feldmann, qui me paraissait en veine de confidences, une question sur les études de son mari.

— Il a étudié en Allemagne, à Bonn, je ne sais combien de temps, me dit-elle, et ensuite à Paris, à l’Ecole des Sciences politiques. C’était, parait-il, un excellent élève, et je n’en doute pas : car il n’est heureux qu’au milieu des livres.

— A présent encore ?

— Si vous saviez combien il lit et combien il écrit ! s’exclama-t-elle en levant les mains pour exprimer l’effroi. Ah ! quand je songe aux premières années de notre mariage et à toutes les larmes que m’ont fait pleurer ces maudits livres ! Même en voyage il en emportait une caisse ! Et partout, sur le navire, à Paris, dans une ville d’eaux, dès qu’il était installé, ne fût-ce que pour huit jours, il ouvrait vite sa caisse et se mettait à lire, à écrire. A combien de spectacles, de musées, de divertissemens ai-je dû renoncer, parce que c’était vraiment pour lui un trop pénible sacrifice de quitter sa table de travail ! Ce n’était pas folichon, je vous assure... Et puis, peu à peu, je m’y suis habituée.

Et elle soupira. Sur ce, je crus pouvoir risquer une autre question vraiment un peu indiscrète :

— M’est avis, dis-je, que ce n’était pas un mari fort tendre ?

Mais soudain je sentis que Mme Feldmann regimbait et pour ainsi dire m’échappait des mains.

— Vous faites erreur, répliqua-t-elle en rougissant imperceptiblement. Il était le modèle des maris.

Et elle revint tout de suite au sujet par lequel notre conversation avait commencé.

— Underhill, lui, était un esprit très simple, médiocrement cultivé, presque enfantin. Et pourtant il a compris ce que n’avait pas compris mon mari avec toutes ses études. Comment expliquez-vous cela ?

— L’intuition, madame, est un don de Dieu ; l’érudition est un acquêt de l’homme.

— C’est vrai, c’est vrai, murmura-t-elle après un instant de réflexion silencieuse. Devinez un peu ce que j’ai dit un jour à mon mari...

Et elle se mit à rire ; puis elle expliqua :

— Underhill était plus âgé d’un certain nombre d’années