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L’Equateur causait dans tout le paquebot une insolite agitation. A chaque instant, les passagers venaient consulter la carte ; puis ils observaient le ciel et la mer, se demandaient entre eux à quelle heure on passerait, le demandaient aux officiers, aux marins, aux domestiques, aux cuisiniers, aux marmitons, quoique tous ces gens eussent déjà répondu vingt fois : « Dans la soirée. » Mais c’était peine perdue : car le Cordova continuait sa route sur l’Océan désert avec la même allure tranquille et toujours égale. Alors, pour tromper l’ennui de l’attente, ils allaient dans la salle à manger donner un coup d’œil aux préparatifs qu’on y faisait pour la fête du soir, en se confiant l’un à l’autre les potins. Un des potins était que, ce soir-là, Mme Feldmann se parerait d’un fameux diadème qui avait coûté deux millions.

Ayant rencontré l’amiral seul, je lui demandai, puisqu’il connaissait depuis longtemps les Feldmann, s’il croyait que réellement le divorce tombât à l’improviste comme une tuile sur la tête de cette dame, ainsi qu’elle le prétendait. Il me répondit que, autant qu’il pouvait le savoir, nul dissentiment grave n’avait jamais éclaté entre les deux époux ; tout le monde considérait ce ménage comme heureux ; et il inclinait lui-même à croire faux le bruit de ce divorce. Mais, je ne sais pourquoi, — peut-être parce que je me méfiais, — il me sembla que l’amiral ne me disait pas toute sa pensée.

Peu à peu le jour décoloré s’éteignit sur la mer déserte ; mais l’heure du diner vint avant l’Equateur, et nous nous mîmes à table en habits de soirée, un peu déçus. Par compensation, la salle était pleine : tout le monde avait fait un effort pour assister au repas de l’Equateur. La dernière qui arriva fut Mme Feldmann, que je n’avais pas vue de la journée. Fraîche et allègre, comme de coutume, elle s’était ornée, non du fameux diadème, mais de ce fil de perles qui, la veille au soir, avait miraculeusement échappé au pied imprudent de Lisetta, et elle portait une belle robe décolletée de dentelle blanche. Elle me regarda, me salua, s’entretint avec moi et avec d’autres ; tout cela avec tant de désinvolture et de gaîté, que, quoique je me fusse senti un peu gêné au moment où nos regards se croisaient pour la première fois, j’oubliai vite la scène de la veille. Nous demeurâmes tous un peu déconfits, lorsque le capitaine nous annonça en souriant qu’on ne passerait pas l’Equateur avant dix heures