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culpâ, pour les péchés, pour les grands, pour les menus, que j’ai faits depuis ma naissance jusqu’à ce jour où la mort m’atteint. » Il a tendu vers Dieu son gant droit. Les anges du ciel descendent à lui.

Le comte Roland est couché sous un pin. Il a tourné son visage vers l’Espagne. Il lui souvient de plusieurs choses, de tant déterres qu’il a conquises, le vaillant, de douce France, des hommes de son lignage, de Charlemagne, son seigneur, qui l’a nourri. Il en pleure et soupire, et ne peut s’en empêcher ; mais ne voulant pas s’oublier lui-même, il bat sa coulpe, demandé merci à Dieu : « Vrai Père qui n’as jamais menti, qui as ressuscité saint Lazare et défendu Daniel contre les lions, défends mon âme contre tous périls, à cause des péchés que j’ai faits dans ma vie ! « Il a offert à Dieu son gant droit ; saint Gabriel l’a pris de sa main. Il a reposé sa tête sur son bras ; il est allé, mains jointes, à sa fin. Dieu lui a envoyé son ange Chérubin et saint Michel du Péril de la mer ; avec eux, saint Gabriel. Ils emportent l’âme du comte en Paradis.

Roland est mort. Dieu a son âme dans les cieux.


Il y retrouve tous ses compagnons ; parce qu’ayant tous peut-être pensé ainsi qu’Olivier, ils ont tous affronté la mort comme s’ils avaient pensé ainsi que Roland, le poète les place ensemble, tous égaux, dans le plus haut ciel, « el greignur pareïs. » Roland eût-il mieux fait de ne pas les sacrifier ? Leur seigneur et « douce France » auraient-ils plus gagné, s’ils avaient vieilli autant que le vieux Naime ? ou vaut-il mieux qu’ait été chantée d’eux la « bone chançon ? » Tel est le jeu parti que Turold a proposé. Olivier l’a résolu dans un sens, Roland dans l’autre : le poète les approuve tous les deux, les enveloppe tous les deux de la même tendresse (v. 1093) :


Rollanz est proz et Olivier est sage.
Ambedui unt merveillus vasselage.
Bon sunt li cunte et lur paroles haltes.


Entre le « preux » et le « sage » il n’a pas choisi, trop humain pour choisir.


III

Nous pourrions poursuivre cette analyse jusqu’au bout, et montrer que les scènes finales. Bataille contre Baligant, Mort de Belle Aude, Plaid de Ganelon, sont enchaînées aux précédentes indissolublement, et qu’elles rendent toutes le même son rare, si rare que celui qui n’a pas lu la Chanson de Roland ne l’a