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conflit d’Olivier et de Roland, dans la curiosité passionnée qui désormais nous porte à observer Roland. Puisqu’il espère la victoire, qu’il commence donc la bataille ; mais, s’il n’est pas un aliéné, l’heure viendra, que nous attendons, où il se dédira. À tout moment, selon les événemens, selon ce que seront ses compagnons, selon ce qu’il est lui-même, il peut se dédire, et par là, à nouveau, les personnages sont agissans, non plus agis ; c’est leur volonté qui, à nouveau, règne, et l’action, qui semblait épuisée, condamnée à l’immobilité, la voilà relancée en avant.

Le poète la divise en trois actes. Roland soutiendra trois batailles, dont la beauté résulte de leur dissemblance : à chacune correspond, chez Roland et chez les autres, un changement d’attitude.

La première (vers 1140-1448) est toute gravité et toute joie. Au moment de combattre, l’archevêque absout les barons (v. 1127) :


« Seignurs baruns, Caries nus laissat ci :
Pur nostre rei devum nus ben mûrir ;
Cristientet aidez a sustenir.
Bataille avrez, vos en estes tuz fiz,
Kar a vos oilz veez les Sarrazins.
Clamez vos culpes, si preiez Deu mercit ;
Asoldrai vos pur voz anmes guarir.
Se vos murez, esterez seinz martirs.
Sieges avrez el greignor Pareïs. »
Franceis descendent, a terre se sunt mis.
Et l’arcevesque de Deu les beneïst ;
Par pénitence lur cumandet a ferir.


Turpin leur a promis la gloire céleste s’ils meurent ; mais Roland leur promet autre chose : la victoire, le butin, un butin plus riche, dit-il, que n’en gagna jamais roi de France (v. 1165). Et telle est en effet la vertu du cri d’armes « Montjoie ! », et telle la fougue des dix combats où dix pairs sarrasins s’abattent tour à tour, au milieu des brocards, tués chacun par un pair chrétien, et telle la gaieté de la lutte sous le soleil clair, que tous sont soulevés jusqu’à l’espoir de Roland. Ils ne pensent plus qu’à la victoire, au riche butin promis, tous jusqu’au sage Olivier, qui s’écrie lui-même (v. 1233) :


« Ferez i, Francs, kar très ben les veintrum ! »


Les païens meurent « par milliers, par troupeaux ; » mais bientôt, pour les Français aussi la bataille se fait « merveilluse