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l’agent qui maintient dans notre chaudière l’eau à l’état liquide, à des températures très supérieures à celle de l’ébullition normale ; elle agit nécessairement de même sur les autres corps, si Lavoisier a vu juste. C’est ainsi qu’on est arrivé à liquéfier le chlore, l’acide sulfureux, l’acide carbonique (qui à la température ordinaire prend l’état liquide sous une pression de 36 atmosphères) et un grand nombre d’autres gaz. Il est clair d’ailleurs qu’en plongeant dans des réfrigérans les appareils de compression, l’opération est facilitée d’autant.

Pourtant l’idée de Lavoisier parut un moment mise en échec par la résistance que 5 gaz, l’oxygène, l’azote, l’hydrogène, l’oxyde de carbone et le méthane, auxquels se sont adjoints plus récemment le fluor et l’hélium, et qu’on appela pour ce motif les gaz permanens, opposèrent à la liquéfaction par compression. Soumis à des pressions qui atteignirent 2 800 atmosphères, ils se montraient néanmoins absolument rebelles, lorsque la découverte du point critique vint nous montrer la cause de ces échecs.

Le point critique est une température caractéristique de chaque corps et telle qu’au-dessus d’elle, ce corps ne peut exister qu’à l’état gazeux, quelque formidable que soit la pression à laquelle on le soumet. Porté à sa température critique, un liquide, quel qu’il soit, se gazéifie brusquement sans changer de volume, comme on le constate par exemple pour l’acide carbonique dont le point critique est 30°,9. La température critique est — 118° pour l’oxygène, — 136° pour l’oxyde de carbone, — 146° pour l’azote ; elle atteint la valeur de — 242 (à 21° seulement de distance du zéro absolu) pour l’hydrogène ; et de — 268° pour l’hélium ; si nos physiciens habitaient dans quelqu’un des astres éloignés où règnent des températures inférieures à celles-ci, ils n’eussent donc jamais été arrêtés par la notion fallacieuse de « gaz permanens ; » ils ne l’eussent pas même soupçonnée.

Au-dessus de 268° au-dessous de zéro, il fait donc trop chaud pour que l’hélium puisse être autre chose que gazeux, et la température à laquelle il est bouillant est toujours inférieure à celle-là. Voilà qui est de nature à montrer sous un angle inattendu le rapport que dans le langage courant on semble voir entre la chaleur et l’ébullition.

Il ne restait donc plus, pour amener à l’état liquide ces gaz rebelles, qu’à les refroidir au-dessous de leurs points critiques avant de les comprimer. Ce ne fut point chose facile ; on y arriva pourtant par deux moyens différons qui se complètent d’ailleurs admirablement.

Le premier procède de la découverte de notre illustre compatriote M. Cailletet qu’un gaz comprimé lentement, puis détendu brusquement