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de Flaubert est vivante ; et lui, parmi les romanciers de génie, l’un de ceux qui ont saisi et mis dans leurs ouvrages le plus de réalité, intellectuelle et physique, vivante elle-même.


Enfin, voici, pour moi, Flaubert.

Mais plaçons-le, d’abord, à son époque ; ensuite, nous l’en détacherons. Cette époque où il a flori, c’est le deuxième empire : c’est le déclin du romantisme, encore splendide ; et c’est le triomphe du positivisme.

Romantique, Flaubert le fut passionnément, — et si évidemment que je n’ai pas à le prouver ; — son amour des couleurs brillantes, son luxe verbal, son lyrisme et la musique de ses phrases, autant de signes : et il dépend de Chateaubriand, d’Hugo, sans nul doute. Mais aussi, en 1857, la philosophie d’Auguste Comte et sa méthode se propageaient à l’encontre du romantisme. La science allait, dans l’idéologie universelle, se substituer à la poésie. Même s’il ne faut pas considérer la science comme la négation de la poésie, l’idée positiviste de la science est opposée à l’idée romantique de la poésie. En fait, l’effort littéraire des Parnassiens consista, plus ou moins nettement, à concilier les deux idées ; et ils ont corrigé le romantisme selon les volontés du positivisme : aux libres épanchemens d’Olympio, comparons les exactes analyses d’un Sully-Prudhomme.

Le romantisme soumettait le monde au poète. Le positivisme soumet au monde les yeux qui regardent le monde, l’intelligence qui le conçoit ; et il transporte la réalité, il la transporte de l’âme à l’objet. Ce changement est manifeste dans toute l’activité spirituelle, sous le deuxième empire, et dans la littérature notamment.

Flaubert en témoigne ; Flaubert, avec son goût de la vérité ; Flaubert qui peine à la quête des documens précis, et qui voyage, visite la Normandie et l’Orient pour attraper des paysages authentiques, et qui assume de formidables lectures, afin de se procurer l’histoire. Les romantiques interrogeaient leur imagination, comme le vieil Homère consultait la muse. Avec le positivisme, le procédé n’est plus le même : le procédé, c’est l’expérience ; du moins, en littérature, c’est l’observation. Et, si Flaubert se soumet à la nouvelle discipline avec une rigueur qui peut paraître excessive, qui l’a peut-être gêné, mon Dieu, la discipline est toute nouvelle : on en subit le prestige. Puis, au lendemain du romantisme, qui vous enchante et vous alarme encore, la discipline est plus indispensable que jamais : le plus tenté de vive indépendance la veut plus stricte.