Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 13.djvu/208

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Caffarelli, qui avait plus de dévouement et de bravoure personnelle que de discernement, fit accueil à cette nouvelle et se hâta d’avertir Marmont qu’il n’était plus assuré de pouvoir lui envoyer les 10 000 hommes promis. La flotte annoncée parut en effet et fit, sur ce long littoral qui court de l’Est à l’Ouest, force démonstrations, en même temps que les guérillas espagnoles redoublaient d’activité. Il n’y eut d’ailleurs pas un homme de mis à terre par les navires anglais, — et pour cause ! la Grande-Bretagne n’avait plus un soldat disponible, — mais seulement quelques canons de montagne et des munitions qui, passés de guérillas en guérillas, parvinrent un mois plus tard à Wellington, tandis qu’il assiégeait le château de Burgos.

Se voyant, ou se croyant réduit à ses seules forces (car, pour comble de disgrâce, le roi Joseph, tout en lui envoyant quelques milliers d’hommes pris à l’armée du centre, l’armée de Madrid, négligea de l’avertir en temps utile de la mise en route de ce renfort), le maréchal Marmont ne perdit pas courage. Il eut même la téméraire confiance de manœuvrer de très près sur le flanc de l’armée anglaise, aux environs de Salamanque ; et c’est ainsi que s’engagea, le 22 juillet, sans dessein prémédité de la part des deux généraux en chef, la bataille des Arapiles, où, dès le début, Marmont, Bonnet, son successeur et Clausel, successeur de Bonnet, furent blessés grièvement. Clausel, pourtant, put rester à cheval, retirer du feu quatre divisions compromises et diriger la retraite sur le Douro que l’on repassa sans encombre. Le surlendemain il recevait de Caffarelli deux régimens de cavalerie dont le commandant de l’armée du Nord estimait pouvoir se passer, sur la côte montagneuse des Asturies, « pour repousser, disait-il, les Anglais qui vont débarquer... »

En définitive, les habiles feintes de Wellington et l’activité de la marine anglaise avaient eu un plein succès. Dans l’Est, dans le Sud, dans le Nord de la Péninsule, les chefs militaires français, incertains, l’imagination hantée par les souvenirs du Helder, d’Aboukir, de Canope, de Sainte-Euphémie, de Vimieïro, s’en étaient laissé imposer par les démonstrations de vaisseaux qu’ils croyaient bondés de troupes anglaises. Et il était arrivé ceci que, sur les 230 000 hommes que nous avions alors en Espagne, on n’avait pu en opposer aux Anglais que 42 000, sur le principal théâtre d’opérations, sur le champ de bataille où allait se décider le sort de la campagne.